Reconnaître et détecter

Donc reconnaître et détecter, parce que, en fait, ce n’est pas si simple. ;
Une discrimination se base sur certaines causes :
l’inconnu : quelque chose qu’on ne connaît pas, on a peur, on ne sait pas comment réagir et, parfois, ça amène une discrimination  ;
la différence : ce n’est pas quelqu’un qui est comme moi, je ne vais pas me comporter pareil, je ne vais pas avoir des bons comportements ;
le regard des autres : les autres personnes sont discriminantes, pour me fondre dans le moule, je vais les suivre ; ou alors, les autres personnes traitent telle personne comme ça et je ne veux pas être traité pareil alors, je vais, moi aussi, reporter cette discrimination ;
les religions : est-ce que j’ai vraiment à expliquer en quoi les religions sont discriminantes ? On a des exemples tout au long de l’Histoire, je pense que ce n’est pas nécessaire ;
l’éducation au sens large : ce qu’on reçoit de nos parents, de nos familles, du système scolaire ;
la société au sens large : les médias, les politiques, en tant que personnes et en tant que concepts ;
Tout cela participe à mettre en nous des bases pour nous pousser à discriminer et on n’est pas forcément conscient de tout ça. C’est un bagage qu’on a dont on ne se rend pas forcément compte.

Du coup, quand on a ce bagage, on peut être amené à être discriminant.
Comment ça se passe : des violences verbales, des violences physiques, des violences morales et psychologiques – moqueries, persécution –, du harcèlement, rejet et mise à l’écart, de l’agressivité verbale ou physique, de la réduction de possibilités, on n’y pense pas forcément, mais une discrimination à l’embauche, par exemple, c’est une réduction de possibilités ; une discrimination sur un dossier scolaire, un dossier universitaire, c’est une réduction de possibilités, encore une fois.

Après les causes et les actions, forcément les conséquences.
Là, on parle du point de vue de la personne qui discrimine [causes] et, là, du point de vue de la personne qui est discriminée [conséquences].
Isolement et repli sur soi, culpabilité, remise en cause de soi, perte de chances, qui va avec réduction des possibilités, bien sûr, déni de soi-même, conduites addictives au sens très large, ça peut être des troubles du comportement alimentaire, ça peut être de l’alcoolisme, de la consommation de drogues, des relations sexuelles non protégées, ce genre de chose, dépression, mal-être, scarifications, mutilations et suicide. J’ai mis un peu par ordre d’importance.
Quand je fais cette présentation auprès d’élèves de collège et de lycée, je remplis le tableau avec eux ; le tableau est vide et je leur demande ce qu’ils voient. La première chose qui remonte là-dedans, c’est le suicide. Quand on parle des discriminations à des jeunes, le premier impact qu’ils voient, c’est le suicide. Ils savent ce que c’est, ils savent jusqu’où ça peut aller.

En général, je fais cette présentation dans un cadre de lutte contre les discriminations LGBT. Là, je vous présente globalement, mais quand on parle de lutte contre les discriminations LGBT, on insiste sur certaines choses, par exemple le déni de soi. Quand on est discriminé parce qu’on est LGBT, on a tendance à dire « non, en fait, je suis hétéro, je suis cisgenre, je vais essayer d’avoir des relations conformes à ce que la société attend de moi. » C’est très difficile. Le déni de soi est un peu vers le milieu, mais c’est quand même quelque chose de très prenant.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, les causes, c’est un bagage qu’on a et dont on n’est pas forcément conscient. Du coup, j’insiste sur l’inconscient de l’instinct, avec une citation d’un auteur français, je ne sais pas si vous connaissez Gilles Roussel, scénariste et dessinateur de BD, qui a dit : « Les préjugés, c’est comme les boutons d’acné : quand on croit en avoir fini avec, on s’en trouve un énorme juste sous son nez. » Il a raconté qu’un jour il est sorti de chez lui, à Paris, et, dans le hall de son immeuble, il a croisé deux femmes, d’âge mûr, en train de discuter, à qui il a dit bonjour sans aucun problème. Et en sortant, dans la rue, il croise deux hommes, pareil, en train de discuter, peau noire, des bonnets sur la tête, et il a un moment de recul en se disant « j’espère qu’ils ne vont pas faire chier les petites dames, quand même ça serait dommage ». Il part faire ses courses, il revient et il retombe sur les mêmes personnes et là, il se rend compte que les deux hommes sont en train de regarder des photos disant « c’est ta fille, comme elle est mignonne, elle a les yeux de son père, c’est trop choupi, machin ». Le premier préjugé qu’il avait est en train de se détruire et, en rentrant dans le hall d’immeuble, il retombe sur les deux femmes qui avaient des discours très racistes et très discriminants. Il avait donc deux points de vue complètement opposés sur deux situations, ce qui lui a inspiré cette phrase juste après, en revenant de ses courses.

Moi aussi, je l’ai vécu. Ça fait un petit moment que je suis sur Toulouse. Dans la vie associative, je participe à des événements et, un jour, je devais aller à un événement qui avait lieu à la médiathèque à la Reynerie. Je me suis dit « la Reynerie, ça craint, c’est un quartier ! C’est la banlieue, tout ça, comment ça va se passer, si je mets mon véhicule à côté, dans quel état vais-je le retrouver ? » et, en fait, c’est complètement con. Je n’ai jamais eu aucun problème. J’ai étudié à la fac du Mirail, actuellement Université Jean Jaurès, je n’ai jamais eu un seul problème. Je suis allé plusieurs fois à la Reynerie à Basso Cambo pour divers événements, la galette et les vœux de monsieur le Maire, etc., je n’ai jamais eu de problèmes. On a des à priori, on se dit machin. Pourquoi ? Parce que la société, l’éducation et tout ça.
Donc, quand on a un truc, on doit se demander si c’est basé sur des faits ou si c’est un inconscient, un préjugé.

Autre point à surveiller : qui ai-je en face ? Est-ce que c’est important de savoir à qui je m’adresse ? Et là, la réponse est oui et non.
En théorie, je devrais m’adresser à n’importe qui de la même manière. Si j’avais un discours non discriminant, je pourrais m’adresser à n’importe qui de la même manière. En réalité, étant donné la société dans laquelle on est et les préjugés que je porte, je dois faire attention à la personne que j’ai en face, parce que, dans certaines remarques, je peux blesser quelqu’un sans le savoir. Je me dis que, normalement, il faudrait qu’on puisse s’adresser à n’importe qui de la même manière et, en fait, on ne peut pas le faire pour diverses raisons.
On utilise des expressions « mais tu es sourd ou quoi ? » ou « mais tu es complètement malade », qui sont, en fait, des discriminations envers des personnes qui ont des problèmes d’audition ou des personnes qui ont des problèmes psychologiques et on s’en sert pour décrire d’autres personnes qui ne sont pas forcément concernées, ou qui peuvent l’être, et on ne le sait pas.

Ce qui m’amène au point suivant, un point auquel il faut aussi faire attention, c’est le handicap invisible.
On parle de discriminations, on a tendance à parler racisme, sexisme, LGBTphobie, validisme, grossophobie, etc. Ce sont des choses qui, globalement, se voient sur les gens qu’on a en face ; je dis globalement parce que, dans certains cas, ça ne se voit pas forcément. Mais il y a plein de handicaps invisibles, physiques ou psychologiques, qu’on ne voit pas et qui font qu’on peut se retrouver à blesser quelqu’un, la personne à qui on s’adresse ou quelqu’un qui est à côté ou quelqu’un qui n’est pas là et qui va avoir vent de ce qui s’est passé.

Ne pas reproduire

Du coup, une fois qu’on a pu reconnaître les causes, les conséquences des actions d’une discrimination, les points sur lesquels insister, on ne va pas les reproduire. Plusieurs façons de faire.

Premièrement le jugement et sa suspension.
Dans un de mes premiers boulots sur Toulouse, en 2006, un de mes chefs disait : « Il ne faut pas juger les gens. » OK, mais c’est difficile de ne pas juger les gens. Je suis désolé, intérieurement, j’ai l’impression de juger tout le temps. Par contre, ce qui est facile, c’est de le garder en soi et de ne pas se baser sur ce jugement pour échanger, pour se comporter avec les personnes qu’on a en face.
Pour moi, avec tout ce qu’on a reçu, avec toutes les causes que je vous ai montrées, le jugement sera toujours présent en nous. Actuellement, nous, en tant que société, nous sommes dans le jugement, donc, il faut apprendre à le suspendre. OK. « La personne que j’ai en face, je considère que… » Ça peut être un jugement positif — c’est quelqu’un qui a une expérience, qui a des talents, j’adore vraiment, machin —, je vais peut-être m’adresser avec obséquiosité, pas forcément, on va se remettre au niveau ; ou alors « c’est un Noir » et moi, je suis raciste. Eh bien non, même si c’est un jugement raciste, on le garde en interne et on ne se base pas dessus pour échanger avec une personne ou se comporter.

C’est clair ce que je raconte ? Je ne dis pas de grosses bêtises ? Vous m’arrêtez si je dis une grosse bêtise. Normalement non.

L’exemple de Cyrano de Bergerac. Vous connaissez Cyrano de Bergerac, la pièce, parce que je ne connais pas tant que ça le personnage historique, et la fameuse tirade du nez. Dans la pièce Cyrano de Bergerac, le personnage, se fait insulter à cause de son nez et il fait une grande tirade en disant : « Il y a plein de choses à dire sur mon nez », mais il finit par dire, tout ce que j’ai dit « Je me les sers moi-même, avec assez de verve — Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve. » Et, en fait, c’est ça. Certaines personnes ont tendance à se moquer d’elles-mêmes, certaines personnes ont tendance à utiliser des termes discriminants pour parler d’elles-mêmes. Ça ne vous donne pas l’autorisation d’utiliser ces mêmes termes pour parler d’elles.

Les personnes LGBT ont récupéré l’expression « pédé », ont récupéré l’expression « pédale » entre elles. D’accord. Ça ne permet pas, ça ne donne pas l’autorisation aux personnes hétéros de l’utiliser.

Autre citation d’un artiste français : « On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde. » Desproges est plus proche de nous que Cyrano de Bergerac et, effectivement, beaucoup de gens disent « mais non, ce n’est pas du sexisme, c’est une blague ! ». J’ai eu l’exemple ce week-end, chez moi. Quelqu’un qui était de passage nous a dit « j’ai trouvé ce message sur Facebook, c’est rigolo, ça dit « on a trouvé une femme avec des super-pouvoirs, elle transforme l’argent en tickets de caisse », et là, je dis « oui, mais ça fait 30 ans qu’on entend cette même blague sexiste ! — Mais non, ce n’est pas sexiste, c’est de l’humour, on ne peut plus rien dire ! ». Chez moi, dans mon salon ! J’étais un peu énervé, mais je n’ai pas insisté !
Oui, on peut rire de tout, on peut encore raconter des blagues, mais ça dépend avec qui, ça dépend dans quel cadre, ça dépend qui est concerné et qui est présent ou pas.

Petite illustration d’un dessinateur Garcia Marin où, effectivement, on peut rire de tout, mais pas forcément avec tout le monde. Cette illustration a été faite dans le cadre du livre qui s’appelait Projet 17 mai : 40 dessinateurs contre l’homophobie, qui est un recueil d’images de lutte contre les LGBTphobies. On voit un groupe de personnes qui se moquent censément des personnes homosexuelles qui se tiennent comme ça. On voit, derrière, qu’il y en a un qui rigole, mais pas tout à fait quand même.
Le dessinateur est un Toulousain que j’ai contacté. Il était très content que je présente ce dessin sur Toulouse.

Ne pas se taire

Quand on est dans une situation de discrimination qu’on a vue, qu’on a reconnue, qu’on a détectée, qu’on ne va pas reproduire, l’étape suivante, c’est ne pas se taire parce qu’il va y en avoir quand même, on va tomber dessus.
Je vois que l’image vous fait rire [tigre qui hurle contre un lion, NdT].

Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix en 1986 : « La neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime. Le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté. » C’est bon pour vous, ça vous semble clair ?
Effectivement, dans une situation de dominant/dominé, si on ne dit rien, on maintient le statu quo, on maintient cette situation de domination. Le but, c’est de participer, de faire remonter, de dire ce qui ne va pas, que ce soit en tant que victime ou en tant que témoin.

En tant que victime, il y a plusieurs possibilités :
en parler : j’ai vécu ça, on m’a dit ça, on m’a fait ça ;
le signaler. On le signale à des personnes supérieures, dans le sens de personnes qui peuvent agir, des personnes qui sont censées être là pour rétablir la justice. Quand je présente ça à des élèves de collège et de lycée, je leur dis « parlez-en à vos profs, parlez-en à vos proviseurs, à vos CPE et tout ça ». Quand je parle dans des entreprises, « parlez-en à vos RH, parlez-en à votre patron, parlez-en, éventuellement, à votre syndicat – si c’est votre patron, ça va être un peu difficile d’en parler au patron, mais, du coup, il y a les syndicats, il y a les prud’hommes, il y a ce genre de choses ;
éventuellement, porter plainte, déposer une main courante ». En France, les discriminations ne sont pas des opinions, ce sont des délits. La loi prévoit des peines pour discrimination quelle qu’elle soit, qu’elle soit verbale, physique, harcèlement psychologique, etc., avec, dans certains cas, des circonstances aggravantes si c’est basé sur l’origine, le lieu de naissance, les pratiques sexuelles, le revenu, etc. Il y a toute une liste de circonstances aggravantes qui font que les peines pour violence sont aggravées, elles aussi ;
et, éventuellement, confronter la personne discriminante. Je dis éventuellement parce que ce n’est pas forcément simple, quand on se retrouve agressé ou harcelé de se dire « je vais aller à la rencontre de mon agresseur, de mon harceleur et me confronter » ; quand on est en situation de dominant/dominé, c’est très compliqué ; quand on est dans un état de dépression, de mal-être, c’est compliqué. Donc, on ne va pas forcément demander à la victime de rajouter ceci en plus de ce qu’elle vit.
Par contre, en tant que témoin, là, la confrontation est possible et même souhaitable.
Si vous voyez un jour une discrimination, si vous voyez un moment où quelqu’un qui est en majorité, qui est dans la norme, se permet de juger, d’agresser quelqu’un qui n’est pas dans la norme, c’est là qu’il faut confronter, c’est là qu’il faut dire « ce n’est pas acceptable », si possible tout de suite, sinon un peu après.

Soutenir la victime, bien sûr, pas l’agresseur, on ne sait jamais ! Dire à la victime : « OK, on a vu, tu n’es pas tout·e seul·e, on va faire quelque chose. »
Signaler, pareil que tout à l’heure, au RH, au patron, aux profs, au CPE, aux syndicats, à toute personne qui est en mesure de rétablir une sorte de justice.
Et éventuellement, porter plainte, déposer une main courante. C’est mieux si c’est la victime elle-même qui le fait, mais, en tant que témoin, vous pouvez quand même le faire.

Être proactif

Jusqu’à maintenant, on était réactif : qu’est-ce qui se passe quand on tombe sur une situation de discrimination ? Être proactif, c’est-à-dire faire en sorte que les discriminations ne puissent pas se produire parce que l’environnement que vous allez mettre en place n’est pas propice aux discriminations.
Il y a plusieurs manières de faire.
Déjà, avoir un environnement avec des personnes diverses, avec des endroits où on ne peut pas se retrouver seul à seul victime/agresseur, ce genre de chose.
S’exprimer avant leur arrivée, c’est-à-dire, en tant que chef d’entreprise, par exemple, en tant que prof ou en tant que CPE, dès l’arrivée d’un nouveau ou d’une nouvelle dans l’entreprise, dans la classe, dès le début de l’année scolaire, vous allez dire « je ne tolérerai aucune discrimination », avant même l’arrivée d’une situation de harcèlement, d’insultes, de violence, dire « il peut se passer ça, ça ne sera pas toléré, je ferai en sorte que ça n’arrive pas. » C’est compliqué à promettre « je ferai en sorte que ça n’arrive pas », mais, le dire, c’est déjà un gros pas en avant. C’est un gros pas en avant, après, il faut aussi le faire derrière. Si c’est juste dire « ça ne sera pas toléré » et, en fait, c’est toléré, ça bloque un peu. C’est dire « non, il n’y a pas de problèmes de sexisme ici, de façon, ce n’est pas acceptable, je ne l’accepterai pas », et être soi-même sexiste derrière ! Pour parler, s’exprimer, il faut avoir les actions qui vont avec, derrière.

Dans quel but ?

Dans quel but lutter contre les discriminations ? Parce qu’on veut avoir une société saine, tout simplement, mais bon !
Un bon environnement de travail. Si on a un environnement de travail qui est rempli de discriminations, de sexisme, de validisme, tout ça, les personnes qui en sont victimes ne vont pas fournir un travail acceptable et ça ne sera pas surprenant ! On ne peut pas demander à quelqu’un qui s’en prend plein la gueule à longueur de journée d’être productif. On ne peut pas demander à quelqu’un qui se prend des remarques à la machine à café tous les matins, d’être dans un état d’esprit qui lui permet de fournir le travail attendu. Je trouve dommage qu’il faille en arriver là, qu’il faille dire « mec, si ton environnement de travail est sexiste, tu vas perdre du fric dans ta boîte », je trouve dommage de devoir en appeler au capitalisme, mais ça reste un argument. Actuellement, ça m’énerve aussi sur l’écologie « on va perdre du fric ! » Oui, mais on va tous crever aussi. « On va perdre du fric ! ». OK. Si on doit en passer par là, d’accord.

Élargissement de l’environnement : collaboration et logiciel libre.
Jusque-là, j’ai parlé d’entreprise, au sein d’une entreprise.
Aujourd’hui, au Capitole du Libre, on parle logiciel libre et un des tenants du logiciel libre, c’est la collaboration : chacun peut participer, chacun peut reprendre le code. Mais si on veut que chacun participe, il faut que chacun se sente accepté.
Il me semble avoir entendu dire que les femmes sont mal acceptées dans l’environnement informatique, qu’il y a des problèmes pour faire venir des femmes, en particulier dans les sciences dites dures, mathématiques, informatique. Est-ce qu’il y a des gens qui confirment ? Je vois que des gens hochent la tête.
Le logiciel libre, c’est bien, j’adore. Je viens au Capitole du Libre tous les ans, parce que ça me requinque, je me dis qu’il y a des gens qui bossent ensemble et tout et, pour ça, il faut que la communauté suive, il faut qu’on puisse dire « OK, c’est ouvert à tout le monde. »

Et puis le bon exemple, tout bêtement. Lutter contre les discriminations, dire « on n’accepte pas les discriminations », c’est aussi lutter pour soi, parce qu’à un moment, on est en majorité, on est dans la norme, on est normal, donc on se dit « c’est bon, il ne va rien m’arriver, je ne vais pas être discriminé » et puis, à un autre moment, la situation change et on se retrouve dans la minorité, on se retrouve anormal et on se retrouve discriminé.
Si on lutte de base contre les discriminations, si on explique aux autres comment ça marche et pourquoi ce n’est pas bien, on a des chances de ne pas être confronté à ces problèmes. Un changement de situation peut arriver un peu n’importe quand. Quand j’en parle aux élèves de collège et de lycée, je prends des exemples super simples, je leur dis « là, je suis en France, je suis dans la norme, j’ai la nationalité française ; si je pars en vacances au Maroc ou au Japon, étant donné que je n’ai plus la même nationalité que la majorité, je ne suis plus dans la norme, je suis anormal, donc, je peux me retrouver dans une situation de discrimination raciste ». Je prends ces pays au hasard ! Je leur dis même « là, actuellement, je m’adresse à vous, je suis complètement anormal dans cette salle. Pourquoi suis-je normal ? Parce que je suis un adulte et vous, majoritairement, vous avez moins de 18 ans, vous êtes des mineurs, donc vous êtes la norme et moi, je suis anormal. » Ce sont des exemples qui leur parlent et qui leur permettent de mieux comprendre.

Pour aller plus loin

Pour aller un peu plus loin, partons plus loin avec des gnous.
Si vous avez envie d’en savoir plus sur les discriminations et les luttes contre les discriminations, je vous propose deux liens : la fondation Le Refuge. Connaissez-vous la fondation Le Refuge ? Oui.
La fondation Le Refuge s’occupe de recueillir, d’héberger et d’accompagner des jeunes de 18 à 25 ans qui sont mis à la porte de chez eux, sans famille, sans amis, sans revenus, sans rien, à cause de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. On fait du réactif, on héberge, on recueille, mais on fait aussi du proactif en faisant des sensibilisations, ce que je vous disais, auprès des collèges et des lycées, et, depuis quelques semaines, on propose ça dans les associations, dans les entreprises, dans les syndicats. Si vous voulez des sensibilisations sur deux/trois heures, contactez sensibilisation chez le-refuge.org.
Si vous êtes sur Linkedin, ce réseau social du diable, où nous sommes tous, malheureusement, vous pouvez aller voir Alyz Dinant qui fait très régulièrement des messages de lutte contre les discriminations, en particulier sur l’identité de genre, sur les troubles du spectre autistique et les troubles de l’attention. Alyz propose très régulièrement des messages sur Linkedin et a aussi une newsletters, qu’il envoie une fois toutes les deux semaines, avec des conseils pour lutter contre les discriminations, pour construire des environnements sains, etc.

De toute façon, je partagerai ces slides prochainement, d’ici à 24 heures, on va dire, vous les retrouverez. La conférence est filmée, je pense qu’elle sera partagée, si vous voulez récupérer les adresses, je pense que ce sera possible aussi après.

Questions du public et réponses

Est-ce que vous avez des questions ? Est-ce qu’il y a des trucs que j’ai dits qui vous ont choqués ? Est-ce qu’il y a des trucs que vous voulez rajouter, que j’ai oubliés ? Oui.

Public : Déjà merci pour cette présentation et le fait de mettre en avant ces sujets, je trouve que c’est très intéressant.
Simplement, j’aurais deux propositions, peut-être deux axes d’amélioration ou de réflexion.
Dans le premier point, sur les causes, tu as évoqué le sujet des religions. En fait, ça peut-être un sujet rapidement clivant, mais, en même temps, je dirais un sujet limitant. Au-delà de la religion, il y a les idéologies, le stalinisme, le nazisme, qui ne sont pas des religions et qui ont engendré un nombre de morts beaucoup plus conséquent dans l’histoire de l’humanité que n’ont pu le faire des religions sur des guerres sur des petites périodes de temps ; bien sûr, si on fait le cumul, c’est tout aussi important. Des idéologies ont fait beaucoup plus en très peu de temps, en proportion.
C’est juste pour étendre le spectre et pour dire que des systèmes de croyances peuvent être des causes. Néanmoins, le risque c’est aussi de faire de la religion un élément de discrimination disant que ça empêche le vivre ensemble, alors que ça dépend des individus.

Raphael Isla : Je répète : on me dit que je parle des religions, mais qu’il y a d’autres systèmes de croyances qui peuvent amener à autant de mal, à autant de morts, à autant de discrimination que les religions.
J’ai marqué la société. La société, c’est effectivement très vaste, c’est très vague, mais oui, quand on parle de la société, on peut parler du nazisme, du stalinisme qui ont effectivement fait beaucoup de morts sur un temps très court, alors qu’à l’opposé les religions ont fait beaucoup de morts sur un temps très long. D’ailleurs, je pense qu’on ne peut pas forcément comparer. Et quand je dis les religions, j’ai bien marqué « les religions » pour ne pas dire « la religion », parce que ce n’est pas une en particulier, ce n’est pas toutes, c’est quelque chose de global. Effectivement, j’aurais pu mettre « les courants de pensée » dans la liste, « les idéologies » ou quelque chose comme ça. Je pense que je le rajouterai, mais je garderai quand même les religions à côté parce que c’est quand même un point assez important de ce côté-là.

Public : Autre aspect intéressant par rapport à Cyrano de Bergerac, le fait qu’on n’accepte pas que les autres emploient certains termes qu’on emploie pour parler de ces éléments. Il me semble assez important, quand on défend une cause, de faire preuve de la même rigueur. Par exemple, quand Malcolm X [2] défendait la cause aux États-Unis, il employait souvent le terme nigger pour dire nègre. Lorsqu’il s’est retrouvé à faire des discours en Afrique, qu’il a employé ce mot, il s’est fait reprendre par les Africains qui ont dit « nous ne sommes pas des nègres et nous n’acceptons pas ce terme ». Finalement, quand on défend une cause, on ne devrait pas s’autoriser à employer des termes qu’on ne veut pas qu’on emploie sur nous. Je pense qu’on devrait faire preuve de cette rigueur. C’est juste une opinion personnelle.

Raphael Isla : On parle de Cyrano de Bergerac, donc de l’utilisation de termes qu’on n’autorise pas à d’autres mais qu’on s’autorise à soi-même, avec l’exemple de Malcolm X qui avait utilisé le terme nigger aux États-Unis, où ça passait et qui l’avait utilisé en Afrique où ça ne passait pas.
Oui, mais, pour Malcolm X, il y a la différence de cadre, j’ai envie de dire. Effectivement, aux États-Unis c’était tout à fait accepté parce que c’était la récupération d’une insulte pour soi-même, ce que fait la communauté LGBT avec l’utilisation de pédale, de pédé, de gouine, de trucs comme ça, qui sont utilisés par la communauté pour parler de soi, mais qu’on n’autorise pas aux autres.
Pour moi, la réappropriation des insultes c’est quand même quelque chose de très important, pour dire « vous nous reprochez ça, mais, quelque part, ce n’est pas un reproche, ça ne devrait pas être un reproche. Nous allons l’utiliser pour nous parce qu’on considère, quelque part, que c’est notre identité, on va le prendre. OK, vous dites ça, c’est à nous, ce n’est plus une insulte, sauf si ça vient de vous. Si ça vient de vous, ce sera une insulte et on va vous en mettre plein la gueule quand même après, parce qu’on ne va pas se laisser faire. »

Public : Je vais aller dans la même direction que toi, dans un monde gay, je suis d’accord avec toi. Effectivement, ça reste une insulte, c’est un terme dérogatoire, mais ça va bien quand le monde ne te l’envoie pas dans la gueule tout le temps, du coup tu n’as pas besoin de te dire « ça ne me fera pas de mal parce que maintenant je revendique le mot, on ne pourra pas m’agresser avec ça. »
Je voulais revenir sur Malcolm X aux États-Unis ; se faire traiter de nègre, il en bouffait tout le temps, la communauté afro-américaine le prend dans la gueule encore maintenant. Du coup, on va prendre et ce truc qui nous embête, qui nous affaiblit, parce que c’est une insulte discriminante qui fait super mal, on va en faire une force. Du coup, en Afrique, les personnes à la peau noire deviennent la majorité, le terme nègre qui est censé être super discriminant n’a pas de pouvoir.
Je vois ce que tu veux dire avec la rigueur, ça ne devrait pas exister, même dans la communauté. En fait, ça ne marche que quand on ne te l’envoie pas de l’extérieur.

Raphael Isla : Je répète. Gabrielle vient d’intervenir pour dire que, effectivement, dans une société parfaite on pourrait ne plus réutiliser les insultes, mais ça sert aussi de force pour se protéger.
Une autre question.

Public : La différence entre Cyrano de Bergerac et Malcolm X — Aimé Césaire aussi a beaucoup utilisé les termes de nègre et de négritude —, c’est que Cyrano parlait de lui-même et non pas d’un groupe de personnes au grand nez. Pour rebondir, pour rester sur l’exemple de Cyrano, je vais citer Hannah Gadsby qui dit qu’il faut qu’on arrête de se moquer de soi.

Raphael Isla : Je répète : une différence entre Malcolm X et Cyrano de Bergerac, c’est que Cyrano de Bergerac parlait de lui en tant que personne et pas en tant que groupe de personnes au grand nez, alors que Malcolm X parle de nigger en tant que groupe, du coup ce n’est pas la même chose.
L’autre point c’était Hannah Gadsby [3], très bon humoriste, regardez ses spectacles, dit : « Il faut arrêter de se moquer de soi ». C’est compliqué. Personnellement j’ai du mal. Ça mérite un gros travail sur l’image de soi, l’estime de soi. Regardez ma précédente conférence sur le syndrome de l’imposteur [4], auto-pub, mais oui, il faudrait arrêter de se moquer de soi, de se rabaisser soi-même. C’est compliqué. C’est comme le jugement, arrêter de juger, c’est compliqué.

Public : Je me permets de changer un peu de sujet : comment vois-tu l’acceptation des LGBT, l’évolution avec tes interventions dans les écoles/lycées ? Est-ce que tu as l’impression que c’est plus accepté maintenant ? On en parle beaucoup plus que quand j’étais au collège, je n’avais pas eu du tout d’éducation à ce niveau-là. J’ai l’impression qu’on en parle de plus en plus, surtout pour les jeunes.

Raphael Isla : On me demande comment je vois l’évolution de l’acceptation des LGBT chez les jeunes que je vois dans les collèges et les lycées. Est-ce que ça a évolué depuis les dernières années ? J’ai envie de dire non, je suis désolé. Effectivement, on parle beaucoup des personnes LGBT, la communauté est présente dans les médias, dans la société, elle n’est plus cachée, du coup ça a deux impacts : les personnes qui acceptaient, acceptent plus ; les personnes qui rejetaient, rejettent plus. C’est moins sur le milieu, mais ça part des deux côtés.
Petit exemple : quand je fais une présentation comme ça pour parler de la norme des stéréotypes, j’ai une photo d’un rayon de magasin de jouets avec un côté tout rose, avec des Barbies, des poupées, et un côté tout bleu avec des Lego, des voitures. On en parle, je leur fais décrire l’image et je demande : qu’est-ce qui empêche un garçon d’aller, dans le rayon de gauche, se chercher une poupée pour s’amuser ? Mois de juin, classe de troisième, une élève m’a dit : son amour-propre, il faut qu’il se respecte ce garçon.
Donc non, je suis désolé. J’aimerais te dire que c’est plus accepté, mais non, actuellement non. Voilà ! Je pense qu’on fait des progrès, mais il y a encore beaucoup de boulot.
Est-ce que vous avez d’autres questions ?

Public : Je voulais revenir sur le fait de dénoncer. Quand on est témoin, on a la possibilité, par exemple, de télécharger un Cerfa<ref<Modèle d’attestation de témoin - Formulaire 11527*03]], de l’imprimer, de le compléter. Ça fait office d’attestation comme quoi on a été témoin de quelque chose et on peut l’apporter à une personne qui est victime si elle souhaite aller plus loin au niveau des procédures. On imprime ce 11527*03. Dessus tout est prêt à l’emploi, on le complète et la personne en fait ce qu’elle en veut.

Raphael Isla : On télécharge le Cerfa, on le remplit en tant que témoin, on le donne à la victime et elle en fait ce qu’elle veut.

Public : Le service public met à disposition ce Cerfa. On l’imprime, on le complète, on décrit ce que l’on a vu et voilà.

Raphael Isla : C’est super intéressant, je n’étais pas du tout au courant. Donc un Cerfa, la référence ?

Public : Il me semble 11527*03.

Raphael Isla : 11527*03, on confirme. OK.

Public : À défaut vous tapez « modèle d’attestation de témoin » et ça vous servira dans tout un tas d’autres aspects, témoin d’accident ou autres.

Raphael Isla : Modèle d’attestation de témoin pour les accidents, pour les discriminations, tout ça. Nickel. Du coup, ça peut servir, on n’y pense pas, on se dit que c’est pour les accidents, mais ça peut servir pour les discriminations. Nickel, j’apprends des choses. C’est ça les bonnes conférences, c’est où le présentateur apprend aussi des trucs.

Public : Une dernière question. Vous parlez du Refuge qui accueille des jeunes rejetés par leur famille, est-ce que, par exemple, vous mettez en place des ateliers artistiques pour l’image de soi ?

Raphael Isla : On me demande si au Refuge, dans l’accompagnement des jeunes qu’on accompagne, on a des ateliers artistiques pour améliorer l’image de soi de ces jeunes qui, effectivement, en ont besoin.
Oui, on a des ateliers d’art-thérapie, en tout cas sur Toulouse. Le Refuge est une association nationale avec des antennes locales. Sur Toulouse, chaque samedi, on a une activité avec les jeunes pour qu’ils ne se retrouvent pas tout seuls dans leur appartement sans aucune activité, ça peut être des sorties au musée, mais ça peut être aussi des ateliers d’art-thérapie qui sont très bien vus des jeunes, ils adorent faire ça. Ils nous font des reconstitutions, à la fin du stage ou des x séances, et c’est très utile.

Public : Je suis photographe. J’ai essayé de rentrer dans ce type d’atelier et on m’a pas mal reproché d’être hétérosexuelle. J’ai eu des problèmes au moment de la première prise de contact, avec, justement, un jugement qui n’était absolument pas gardé à l’intérieur de mon interlocuteur.

Raphael Isla : Il y a longtemps ?

Public : Deux/trois ans.

Raphael Isla : D’accord. On reproche au Refuge.

Public : Pas au Refuge !

Raphael Isla : Ce n’était pas au Refuge ? Pardon.

Public : J’ai essayé par mes propres moyens de trouver un atelier, n’en ayant pas, dans mon entourage.

Raphael Isla : OK. On reproche à certaines associations LGBT de ne pas donner accès à des personnes extérieures qui ne seraient pas LGBT, en leur reprochant de ne pas être LBGT, donc de ne pas connaître le sujet en disant « tu n’as rien à faire là. ».
C’est un problème de l’entre-soi, je ne suis pas surpris, c’est arrivé au Refuge, c’est pour ça que je pose la question. C’est arrivé au Refuge il y a quelques années, je ne sais plus exactement. Après, il y a un turnover, donc, depuis, on a des formations en interne pour ne pas reproduire ce genre de chose. On bosse de ce côté-là. Au Refuge, on essaye ; je ne peux pas parler pour les autres assos.
Une dernière question.

Public : Il y a beaucoup de sexisme banalisé aussi dans les entreprises. Il m’est arrivé de m’exprimer pour faire prendre conscience aux personnes qui avaient ce genre de comportement du respect qu’il faut avoir. Je me suis retrouvé à créer de l’attention sur ce truc-là. J’en ai d’abord parlé à la victime qui ne se sentait pas forcément concernée. J’en ai parlé aux personnes qui continuaient à avoir ce genre de comportement, elles ne savaient pas de quoi je parlais. Je me demande à quel moment ça vaut le coup de reprocher aux gens des trucs assez banalisés.

Raphael Isla : Dans une entreprise avec une situation de sexisme où les victimes potentielles ne se sentent pas forcément victimes, ne se sentent pas discriminés, à quel moment, en tant que personne extérieure ou témoin, peut-on intervenir ?
Je ne sais pas. J’ai envie de dire que c’est compliqué, parce que si la personne que tu considères victime, elle-même ne se considère pas victime, en fait tu as peu de raisons et de moyens d’agir.

Public : Ce n’est pas pas rapport à la situation sexiste.

Raphael Isla : OK. Un environnement sexiste.

Public : Je veux bien répondre. J’ai essayé c’est de commencer par faire prendre conscience que ce qui est en train de se passer n’est pas normal ; ça prend beaucoup de temps et beaucoup d’énergie. Dire qu’une insulte raciste, sexiste, ce n’est pas drôle, il faut vraiment avoir vraiment les reins solides, ça prend énormément d’énergie. Ce sont des personnes qui n’ont pas conscience de tout ça et c’est douloureux pour elles d’en prendre conscience, de se rendre compte qu’elles sont victimes de discrimination ou d’insultes. Il faut savoir où mettre les pieds, mais c’est possible.

Raphael Isla : On me dit que c’est possible, effectivement, de lutter, d’essayer de faire prendre conscience, mais qu’il faut avoir les reins solides, ça demande beaucoup d’énergie. J’ai pensé à un truc : une insulte sexiste ou raciste, ça reste une insulte sexiste ou raciste qui que ce soit qui est présent. Si on est entre Blancs et qu’on fait une blague sur les Noirs, ça reste raciste, même s’il n’y a pas de Noirs dans la salle, on est d’accord. Je prends des exemples super simples, vous m’excuserez sur certains termes.

Il ne me reste qu’une minute, du coup je vais je vais finir sur une image de chats. Non !
Si vous voulez me contacter je suis sur Mastodon, je suis sur Linkedin : https://framapiaf.org/@Relf sur Mastodon, raphaelisla sur linkedin. J’ai un site personnel www.famille-isla.net [5] et je suis présent au Capitole du Livre tout aujourd’hui et tout demain, au Village associatif ou en conférence. Si vous avez besoin de discuter et de venir me voir, de venir voir le produit que je propose, vous n’hésitez pas.
Merci à vous d’être venus. Merci de vos questions, de vos participations. J’espère que ça vous a été utile, que ça vous a plu.

[Applaudissements]