Agir pour l’Internet Libre, conférence de Félix Treguer

Présentation

Lors de l’Ubuntu Party de novembre 2011, Felix Treguer, chargé des affaires institutionnelles de la quadrature du net a donné une conférence pour "agir pour un internet libre".

  • Titre : Agir pour un Internet Libre, conférence de Felix Treguer
  • Lieu : Cité des sciences et de l’industrie de la villette
  • Date : 12 novembre2011
  • Licence : cc-by-sa

Transcription

Bonsoir à tous. Je m’appelle Félix Tréguer et je suis chargé de mission à la Quadrature du Net. Je travaille avec le porte parole de l’association, Jérémie Zimmermann, que vous connaissez peut-être. Et je m’occupe en particulier des dossiers institutionnels et juridiques sur lesquels la Quadrature se mobilise.

Aujourd’hui, je voudrais vous parler des propositions que la Quadrature a formulées au mois de juin, qu’on a publiées au mois de juin, qui sont en fait l’ensemble des... Voilà, on est une association qui défend les libertés sur Internet. Par ce biais-là, on est amené à s’opposer à certains projets de loi, en France, ou à des directives européennes, ou à différentes positions dans le débat public. Il nous a semblé important à un moment donné d’arrêter d’être toujours en opposition, ou en tout cas de développer un aspect propositionnel et de présenter un agenda positif.

Qu’est-ce que recouvre la défense des libertés sur internet ? Au delà du rejet de lois, comme la loi HADOPI sur le téléchargement, le partage d’œuvres sur internet, le filtrage du net et ce genre de sujets. Toutes ces choses auxquelles on s’oppose, quelle est la vision qu’une association comme la notre défend. On est dans une année électorale en France, et même si nous, on n’a pas vocation à s’inscrire dans ce débat de manière directe, on voulait soumettre au débat public un certain nombre des propositions qu’on a été amenées à formuler au cours de nos travaux sur les différents dossiers sur lesquels on a pu se mobiliser.

Ces propositions suivent trois axes, et je vais vous les présenter de manière successives. Elles visent en fait à faire d’internet un réseau partagé aux mains des utilisateurs et qui soit source ... qui continue... enfin, faire en sorte qu’internet puisse continuer d’être ce moteur d’innovations, de développement socio-économique et de progrès démocratique, ce moteur-là, qu’il a été depuis 15 ans. Depuis 15 ans, en tout cas, depuis sa démocratisation et l’arrivée de l’internet grand public au milieu des années 90.

Les propositions que je vais vous montrer n’ont pas vocation à être exhaustives. La défense des libertés sur internet, la promotion d’un internet Libre, ne se réduit pas aux propositions que je vais vous présenter à l’instant. Il y a d’autres aspects, notamment sur la vie privée ou des choses comme ça, qu’on n’a pas forcément extrêmement développés. Nous on se définit comme une association qui promeut la libre circulation de la connaissance sur internet, et la libre circulation du savoir et de l’information le long du réseau. Et donc, vous le verrez, les propositions reflètent cet angle particulier. Vous observerez que certaines choses qui vous tiennent à cœur manquent dans les propositions que je vais vous présenter, mais on pourra en parler dès la fin de la présentation et échanger sur votre opinion et vos remarques juste après ma présentation. D’ailleurs, s’il y a des choses que vous voulez me dire au cours de la présentation, s’il y a des choses qui ne sont pas claires, n’hésitez surtout pas à m’interrompre.

En gros, les trois axes propositionnels, c’est d’abord la défense des droits de l’Homme dans la société numérique. Je vais y venir dans un instant, je vais commencer par ça. Dans un deuxième temps, on va avoir les propositions qui ont trait à la protection de l’architecture internet, donc plutôt d’un point de vue technique, comment fait-on en sorte que ce réseau garde ses caractéristiques qui sont à l’origine des progrès démocratiques et socio-économiques qu’on observe. Dans un troisième temps, troisième axe, le libre partage de la connaissance et de la culture sur internet.

Tout d’abord, les droits de l’Homme dans la société numérique.
Dans cet axe, les propositions qu’on formule visent d’abord à garantir la liberté de communication qui est une liberté publique, en France au moins, depuis la Révolution française et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. L’article 11 de la DDHC proclame la liberté d’expression comme une fondamentale pour la démocratie. Et internet est vraiment l’expression technique et en tout cas empirique de cette liberté proclamée il y a plus de 200 ans. Du coup, l’idée de ces propositions, c’est de garantir cette liberté publique et les différents principes de l’état de droit qui permettent de protéger les libertés publiques dans notre société. Tout d’abord, le premier axe dans ce thème des droits de l’Homme, c’est la garantie de la présomption de légalité pour toute publication en ligne. Qu’est-ce que ça signifie ?

Vous savez qu’on vit une époque où les gouvernements sont dans une logique de reprise en main d’internet ; c’est-à-dire que c’est un univers qui est construit et géré par les utilisateurs du réseau. Et les gouvernements, on observe, ont beaucoup de projets répressifs qui se développent autour de cette question et notamment le filtrage d’internet. Le filtrage d’internet c’est en gros mettre une barrière aux échanges d’information quand on estime que certaines informations sont illégales ou nuisibles. En France notamment cette question du filtrage a été extrêmement forte lors du débat sur la loi LOPSI qui a été une loi votée finalement l’hiver dernier et qui recouvre, c’est un arsenal sécuritaire, qui accumule pas mal de mesures en matière de politique de sécurité. Et notamment un article 4 dans cette loi qui visait au filtrage de sites à caractère pédo-pornographique, donc un sujet extrêmement sensible et voilà un but affiché extrêmement louable si ce n’est que le recours ,en tout cas la proposition formulée à l’occasion de ce projet de loi de filtrer de manière administrative l’internet, me semblait extrêmement dangereuse.

On voit aussi se développer au nom du droit d’auteur par exemple sur Youtube ou Facebook, quand vous voulez mettre en ligne des vidéos, les contenus sont passés au crible de logiciels pour repérer de potentielles atteintes au droit d’auteur ; et souvent ces contenus, lorsque le service en question estime que ou en tout cas, le système de Youtube à cet égard s’appelle le Content ID…. La logique c’est de screener le contenu qui est en train d’être mis en ligne par l’internaute pour voir s’il ne met pas en cause les droits d’auteur d’un ayant-droit et on estime que nous c’est pas un filtre automatique, un logiciel ou un acteur privé qui configure cet outil-là de filtrage, que ce soit un acteur privé d’ailleurs ou l’administration, ce ne sont pas à ces acteurs de filtrer les communications et de dire sans même l’intervention d’un juge qui est le garant des libertés dans un état de droit, que ces contenus sont illégaux et n’ont pas le droit de cité sur internet.

Voila, c’est cette logique que recouvre ce premier axe qui est donc de garantir la présomption de légalité pour toute publication en ligne. Et notamment dans ce thème vous avez sans doute entendu parler du régime on dit en anglais « Notice and take down » de demandes de retrait qui peuvent être formulées par exemple, imaginons vous allez sur Youtube. Si Vivendi par exemple ou sa maison de disque Universal vont sur Youtube et se renden compte qu’un des contenus en ligne porte atteinte à leur droits, à leur droit d’auteur, ils vont faire une demande à Youtube de retirer ce contenu en ligne et la plupart du temps l’hébergeur sauf à engager sa responsabilité et donc à être passible de poursuites judiciaires, est prié d’obtempérer.

Et le problème c’est que ce régime qui a été mis en place au début des années 2000, du fait de certaines évolutions jurisprudentielles est en train d’être passablement remis en cause et en tout cas au détriment de la liberté d’expression des individus, parce que là je parle du droit d’auteur, mais il y a plein de choses, des contenus politiquement sensibles. Par exemple si quelqu’un s’exprime d’une manière un peu véhémente contre un ministre, se pose la question : « Peut-il être passible de poursuites pour diffamation » ? Il est arrivé que le gouvernement ou des tiers demandent à un hébergeur ou au prestataire, un site internet, de retirer ses contenus, le fait est. Alors qu’à l’origine, au début des années 2000, on avait mis en place au niveau juridique un équilibre qui imposait à l’hébergeur de veiller au respect de la liberté d’expression de l’individu. Aujourd’hui le fait est que les hébergeurs et les personnes qui gèrent des sites en ligne sont très encouragés par les évolutions récentes au niveau de la jurisprudence et de la loi à retirer ces contenus sans même s’interroger sur la légalité ou la légitimité du contenu en question.

Et donc à cet égard, il y a un aspect qui nous semble très important, c’est qu’avant de retirer un contenu il est important que l’hébergeur ou le site en question, demande à l’internaute qui a mis le contenu en ligne s’il est prêt à endosser la responsabilité juridique de ce contenu. Imaginons, il y a une plainte ou en tout cas une notification d’un tiers à l’égard plus généralement d’un site internet expliquant qu’un contenu est diffamatoire par exemple, l’hébergeur en question, selon nous, devrait être obligé de contacter la personne qui a mis le contenu en ligne pour lui demander « Est-ce que vous estimez que ce contenu est diffamatoire ?& Et dans cel cas acceptez-vous qu’il soit retiré et disparaisse enfin soit retiré d’internet ou est-ce que vous endossez la responsabilité juridique auquel cas le contenu est maintenu ». Et si le tiers qui a fait la notification initiale le souhaite, il lui revient de porter plainte, d’engager des poursuites judiciaires à l’encontre de l’internaute auteur du contenu diffamatoire. Cet aspect-là c’est vraiment à la fois pour éviter donc des mécanismes de filtrage automatique et en même temps s’assurer que l’internaute peut être responsable et endosser la responsabilité juridique des contenus qu’il met en ligne, c’est pas à un prestataire technique de décider pour lui de la légalité, de la pertinence des contenus qu’il a mis lui-même en ligne.

Deuxième aspect, c’est la garantie du droit au procès équitable. C’est un aspect extrêmement, là je vous parle du rôle de l’hébergeur dans le retrait potentiel de contenus ; on estime que toute sanction imposée par les pouvoirs publics notamment ayant pour effet de restreindre la liberté de communication doit être précédée d’un procès équitable. Le droit au procès équitable c’est un droit garanti encore une fois par la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, plus récemment au niveau européen par la Convention européenne des Droits de l’Homme . Il n’y a aucune raison que sur internet ce droit au procès équitable ne soit pas garanti. C’est ce qu’on observe pourtant. Il y a de plus en plus de procédures, soit du fait des hébergeurs et des prestataires de services en ligne eux-mêmes, soit du fait de dispositions législatives, qui court-circuitent le passage devant le juge et qui censurent des contenus sans décision judiciaire. Ça c’est une violation inacceptable du droit au procès équitable contre laquelle il convient de s’opposer.

Troisième aspect, réfléchir aux limites de la liberté d’expression dans une sphère publique renouvelée. L’idée c’est que si on veut maximiser la portée démocratique d’internet, faire en sorte que ce soit un outil au bénéfice de chaque citoyen qui veut s’exprimer dans l’espace public, alors il faut s’interroger sur certaines lois ou dispositions législatives qui interdisent certains propos, certains discours dans l’espace public. La loi donc qui régit ces interdits de parole, c’est la loi sur la liberté de la presse de 1881, qui interdit par exemple l’apologie des crimes contre l’humanité, les propos racistes, etc.. mais aussi les injures ou la diffamation. Je ne sais pas si vous avez entendu récemment parler de l’affaire Copwatch. Ce site qui se voulait un collectif de citoyens voulant dénoncer les abus policiers. Ce site a été condamné suite à une plainte du ministre de l’Intérieur Claude Guéant il y a 2-3 semaines. Donc il avait quelque chose d’extrêmement problématique sur ce site, c’est le fait qu’il y avait effectivement des photos et des données personnelles concernant des policiers qui étaient mises en ligne, mais le site a été condamné, même en dehors de ces violations de la vie privée des agents de police en question, le site aurait été condamné sur le simple fait qu’il portait injure et tenait des propos diffamatoires à l’encontre des forces de police. Quand on lit l’arrêt du juge en question, Copwatch est condamné pour avoir par exemple dit que la police aux frontières de Calais, et là je cite, que je me souvienne bien des mots employés, humilie les migrants, les torture psychologiquement, etc.. Le juge a considéré que c’était diffamatoire. Il y a aussi une phrase sur le site qui est violente et choquante pour sans doute pas mal de personnes mais, en tout cas à mon avis elle ne justifiait pas une condamnation judiciaire et ne devrait pas être condamné pénalement, une phrase qui disait que la police était le charnier de l’évolution. Un discours violent, à la fois choquant et en même temps terriblement banal et qui a justifié donc cette mesure de censure et qui aboutit au filtrage du site Copwatch.

C’est un exemple, mais il y a des.... Copwatch, c’est un cas un peu difficile et sur lequel chacun d’entre nous peut avoir des opinions différentes. Il y a des cas beaucoup moins difficiles et sensibles. Par exemple, je ne sais pas si vous vous rappelez de cette affaire en 2009 lorsqu’une internaute avait traité Nadine Morano, alors Secrétaire d’État à la Famille de menteuse sur un forum de Dailymotion ; la ministre avait porté plainte pour diffamation à l’encontre de cette personne. On peut penser que c’est un peu abusif et on peut se demander si il n’est pas temps sur certains aspects de réfléchir à l’adaptation du droit de la liberté d’expression pour l’adapter aux nouvelles pratiques du discours public. Le fait est tout simplement que dans l’espace public, aujourd’hui ce ne sont pas que des journalistes ou principalement des journalistes qui s’expriment ou des écrivains ou des auteurs qui sont publiés par des maisons d’édition ou des organes de presse, mais chaque citoyen peut s’exprimer publiquement et forcément ça, ça change complètement la teneur des propos qui sont tenus dans l’espace public. Donc il y aura forcément une dose d’emportement, d’invective, de discours violent et donc l’application des dispositions qui ont été adoptées il y a plus d’un siècle pour réguler l’expression journaliste, est-ce qu’il est légitime qu’elle s’applique aujourd’hui pour le discours tenu par chaque citoyen sur internet ? C’est une question difficile, mais qu’il nous semble important de poser.

Le deuxième axe de propositionnel c’est la protection de l’internet libre et ouvert. Au-delà de la défense des Droits de l’Homme, toutes les potentialités émancipatrices d’internet reposent sur certains principes techniques du réseau, notamment la neutralité du net, je vais revenir sur cette question dans un instant, qui en font un réseau décentralisé où le pouvoir réside dans les mains des utilisateurs. Chaque internaute est maître de ses communications, maître de s’adresser à qui il veut sur l’ensemble du réseau global, et il importe donc de protéger cette capacité qu’internet offre aux utilisateurs vis-à-vis des menaces qui pèsent sur internet lui-même.

Tout d’abord la protection législative de la neutralité du net c’est quelque chose de très important, il y a même un député en Belgique qui a proposé d’inscrire ce principe de la neutralité du net dans la constitution belge. La neutralité du net c’est un principe technique vraiment consubstantiel d’internet qui exclut toute discrimination, des flux de communication sur le réseau. C’est-à-dire que l’opérateur qui transmet les données émises par un utilisateur, il ne doit pas s’intéresser au contenu, à l’origine ou à la destination de l’information transmise. Il doit la transporter de manière neutre. C’est-à-dire que toutes les communications sont transportées de manière non discriminatoire par le fournisseur d’accès à internet ou l’opérateur Télécom qui transporte ces données.

Aujourd’hui on observe que les opérateurs en question pour développer des modèles économiques, accroître leurs marges, passer des deals avec des prestataires de services comme Google ou autre, pour éviter d’avoir à investir dans davantage d’infrastructure, de capacité en bande passante, voudraient bien brider certains protocoles, certains échanges pour éviter qu’il y ait une pression sur le réseau et éviter d’investir dans davantage de capacité. Bref il y a plusieurs modèles, mais toujours liés à une volonté d’accroître leur marge, de mettre à mal cette neutralité et avec c’est vraiment la liberté des utilisateurs d’internet qui serait mise à mal.

Donc le débat a été lancé en Europe au moment de la discussion des directives du paquet Télécom au niveau de l’Union Européenne, c’était donc en 2009 et on a vu un opérateur américain AT & T, qui ne possède pas de réseau en Europe mais qui propose différentes prestations à des entreprises ou même à des opérateurs, proposer dans le cadre de ces discussions au niveau du Parlement européen des amendements, légitimement des atteintes à la neutralité du net. Le débat a vraiment surgi en Europe à ce moment-là, sachant qu’aux USA il était plus ancien puisqu’il avait eu différentes affaires de bridage, d’échanges en Bit-torrent, dès 2006 je crois. Le débat est arrivé en Europe en 2009. On a réussi à faire en sorte que ces amendements proposés par AT & T ne soient pas intégrés dans la version finale de ces directives européennes. Mais le débat a été lancé au niveau européen et donc depuis 2009, il y a un vrai débat à la fois au niveau des états membres, donc de la France, la Belgique, et tous les états membres de l’Union européenne et au niveau de la Commission européenne et du Parlement européen sur comment est-ce qu’on doit protéger ce principe, enfin, est-ce qu’on doit le protéger et si oui comment. Et on observe en France un débat public qui s’est engagé de manière assez positive avec un travail intéressant de la part de l’ARCEP qui est le régulateur des Télécom et également des parlementaires qui ont fait un bon travail sur cette question et qui sont partants pour inscrire dans la loi ce principe extrêmement important, mais on observe aussi au niveau européen, la Commission européenne, très sensible au lobbying des opérateurs Télécom, et la commissaire en charge de cette question qui est madame Neelie KROES, une néerlandaise, a fait un vrai volte-face : au début de son mandat elle était résolument en faveur de la neutralité et ces derniers temps elle a tenu des propos contraires à ce principe.

Donc on suit cette question de manière extrêmement attentive...

Si vous avez des questions d’ailleurs sur les différents dossiers qui peuvent être mentionnés au cours de la présentation, n’hésitez pas à poser des questions à cet égard tout à l’heure.

Donc en gros pour finir sur cette question de la neutralité, nous ce qu’on voudrait c’est qu’il y ait une inscription de ce principe dans la loi. Donc la définition du principe disant qu’internet est un réseau neutre et ce principe doit être respecté par les fournisseurs d’accès à un internet et les opérateurs qui transportent les flux internet. Et la protection de ce principe et de cette définition doit passer par des sanctions contre des opérateurs qui violent ce principe et donc des pouvoirs de contrôle aussi des pratiques des opérateurs par le régulateur qu’est l’ARCEP par exemple en France.

Le deuxième point sur la protection de l’internet libre, c’est encourager le développement des réseaux sans fil partagés. C’est une question qu’on a abordée de manière plus récente et en fait l’idée c’est de faire en sorte que les communications mobiles et l’internet mobile restent neutres et favorisent un mode d’organisation des réseaux sans fil qui soit aux mains des utilisateurs.

Il y a un enjeu, c’est que le mobile aujourd’hui, l’internet mobile, c’est l’internet qui est le moins neutre en fait. Il y a un grand nombre d’atteintes à la neutralité du net qui sont constatées sur les réseaux mobiles. Vous ne pouvez pas sur vos téléphones portables en 3 G par exemple utiliser du peer to peer, des groupes usenet. Il y a tout un tas de limitations qui sont attachées à l’utilisation de l’internet sur vos téléphones. Le mode traditionnel d’administration ou d’organisation au niveau de la régulation des réseaux sans fil c’est on alloue un partie du spectre radio électrique, donc les ondes qu’on utilise pour transmettre des données en sans fil, on alloue une partie du spectre radio électrique à un opérateur ; l’opérateur achète ou en tous cas candidate pour l’obtention d’une licence auprès des pouvoirs publics de l’État et donc il exploite cette licence en fournissant des services, etc...

Aujourd’hui on a des technologies radio qui peuvent nous permettre de mettre en place des réseaux, en tout cas un accès au spectre qui ne soit pas soumis à la licence, regardez par exemple quand vous utilisez le wi-fi, le wi-fi c’est la première technologie en tout cas dans le domaine des communications interpersonnelles et de masses mobiles, quand on émet en wi-fi on n’a pas besoin d’obtenir une licence auprès du régulateur ou des pouvoirs publics. On met une borne et il y un certain nombre de normes techniques qui sont définies pour l’utilisation des antennes wi-fi et ça permet de mettre en place des réseaux sans fil qui sont la plupart du temps gérés par les utilisateurs, puisqu’on peut configurer son réseau wi-fi, on est libre de relier 2 bornes wi-fi pour créer un réseau d’utilisateurs.

En fait l’enjeu du développement des réseaux sans fil partagés, c’est de faire en sorte que le wi-fi concerne des fréquences qui sont des hautes fréquences qui ont des propriétés physiques assez limitées en fin de compte. Le wi-fi utilise des ondes dont personne ne voulait auparavant, on estimait que c’était des ondes poubelle et que les applications possibles de ces ondes n’étaient pas intéressantes parce que c’est des ondes qui n’allaient pas très loin. Aujourd’hui on est à une époque où la télévision devient numérique, la radio devient numérique et donc il y a des parties du spectre qui se libèrent et l’idée qu’on défend c’est de faire en sorte que ces parties du spectre qui se libèrent, sur des parties du spectre qui sont en terme physique, enfin les propriétés physiques de ces ondes bien plus intéressantes, qu’on puisse avoir un accès ouvert et non soumis à licence de ces ondes. Sachant qu’aux États-Unis ils sont déjà en train de le faire. Il y a des applications possibles. En fait on ne les connaît pas encore. Le wi-fi par exemple ça a donné un grand nombre d’innovations en terme d’applications. La chose très intéressante est qu’on explique aux parlementaires en charge de ces questions, quand on veut mettre en avant l’importance de cette question, c’est le fait qu’on peut développer par exemple des réseaux wi-fi, similaires aux réseau wi-fi sur ces fréquences laissées vacantes par les radio diffuseurs traditionnels, on peut développer des réseaux wi-fi de bien plus grande distance, donc à une échelle par exemple entre 2 bornes on aurait besoin, on pourrait mettre 2 bornes et elles pourraient transmettre des informations sur une distance de 1,6 km, ce genre de distance. Ça permet de connecter des zones rurales à l’internet sans fil ou à l’internet tout court, puisque beaucoup d’entre elles en sont dépourvues, à moindre coût.

Le problème, c’est que donc dans ce débat-là, les opérateurs veulent garder la main mise sur le contrôle du spectre, et donc ils sont très hostiles à l’apparition d’usages non soumis à licence du spectre qui donneraient lieu au développement de réseaux sans fil citoyens qui soient contrôlés par les utilisateurs. C’est un débat qui a du mal à prendre un peu en Europe, alors même qu’aux États-Unis il est relativement avancé. C’est tout à fait préjudiciable, à la fois pour l’innovation, l’accès à internet et également le développement d’innovations à la fois sur le plan technique, au niveau des appareils, au niveau des services qu’on pourrait développer, grâce à ces réseaux partagés.

Il y a un autre aspect aussi sur cette question pour finir, c’est le fait qu’aujourd’hui, lorsqu’on partage, déjà à l’échelle de Paris par exemple vous avez déjà dû vous poser la question pourquoi on ne partage pas nos réseaux wi-fi pour créer un réseau internet à l’échelle de la ville par exemple. Ce serait très aisé, aujourd’hui Free Wi-Free et ce genre de services le font déjà avec tout un tas de restrictions puisque ce ne sont pas des accès ouverts. Pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas nous, citoyens, s’organiser pour partager nos accès wi-fi et faire bénéficier n’importe qui se baladant dans Paris d’un accès internet de bonne qualité et gracieux. Le fait est qu’il y a tout un tas de problèmes techniques sur la confidentialité des communications d’abord et après de responsabilité juridique de la personne qui détient la borne wi-fi et qui partage son accès internet avec d’autres, et donc il y a encore beaucoup de travail à faire à la fois sur le plan technique et à la fois sur le plan juridique pour faire en sorte que les personnes qui partagent leur accès puissent le faire sans être inquiétées de quelque manière que ce soit.

Le troisième aspect, là je vais passer assez vite. Donc le développement de terminaux, à la fois des ordinateurs, les logiciels qu’on utilise dessus, et les téléphones et les logiciels qu’on utilise dessus, et des serveurs, donc les disques durs connectés à internet qui permettent d’héberger les données qu’on échange sur internet qui soient contrôlés par les usagers.

Si on veut conserver aussi le caractère décentralisé du net, il ne suffit pas de protéger la neutralité du net, donc la neutralité du transporteur d’informations sur le réseau, il faut aussi s’assurer que les usagers restent maîtres des outils logiciels ou des terminaux qu’ils utilisent. J’en parlais tout à l’heure avec Benoît, aujourd’hui un grand nombre d’utilisateurs ne voient pas bien plus loin que Facebook ou Google lorsqu’ils veulent utiliser des services en ligne. Pourquoi ? Parce que ces sociétés-là proposent en gros de l’hébergement et tout un tas de services de manière centralisée. Le problème c’est que se référer à ces entreprises pour mener nos activités en ligne, c’est perdre une partie de nos libertés. Je pense que beaucoup d’entre vous ici sont intéressés par les logiciels libres, donc vous êtes déjà très sensibles à cette question, mais à cet égard, à la fois donc il y a l’importance du logiciel libre et également la possibilité aujourd’hui que chaque usager d’internet soit doté de son propre serveur, puisse héberger ses propres données, tous ses outils qu’il utilise sur internet et reste maître de ses données. Il y a un projet qui a été lancé par un des penseurs du logiciel libre Eben Moglen qui s’appelle la Freedom Box et en fait ça vise à développer un petit serveur qui soit aussi justement pour revenir à la question précédente, aussi une antenne relai qui permettent justement de construire des réseaux sans fil maîtrisés par les utilisateurs. Donc un projet qui s’appelle la Freedom Box. Et donc ils ont comme projet de développer de petits appareils qui seraient facilement configurables par les internautes, qui pourraient héberger nos données plutôt que donc les laisser dans les mains de Google, Facebook et autres, et en même temps donc de développer des réseaux sans fil. Vraiment l’idée c’est de garantir la nature décentralisée d’internet et éviter toute centralisation de son architecture.

Donc on passe maintenant au troisième axe qui est le partage de la culture et des connaissances. Internet et les technologies numériques ont permis à chacun de partager librement l’information et la réappropriation, la modification des œuvres et de l’information, la réutilisation sous toutes ses formes, quelque chose d’extrêmement bénéfique et qui devient une pratique commune pour les nouvelles générations et c’est tant mieux. Le problème c’est qu’on a un régime juridique de droit sur l’information donc communément et abusivement appelé la propriété intellectuelle donc les droits de propriété intellectuelle qui obère notre capacité à échanger, modifier, partager l’information.

Donc l’enjeu c’est de faire en sorte, donc ça c’est le débat sur le droit d’auteur notamment, qui est extrêmement vif sur les questions d’internet, faire en sorte d’adapter ces politiques pour permettre à tout un chacun de se réapproprier l’information et donc d’être libre de l’information à laquelle il a accès et de la manière dont il l’utilise. Ça passe par d’abord la reconnaissance du droit au partage pour chaque individu, le droit au partage de l’information, le droit au partage de la culture. Aujourd’hui, dans tous les débats sur le droit d’auteur, on voit que cette idée, le partage, est assimilé à du vol, la copie est assimilée à une, comment dire, à une activité qui nuirait à la création et à l’ensemble de l’économie culturelle. Aujourd’hui on dispose de plein d’études, pour parler seulement du droit d’auteur et des œuvres culturelles, de plein d’études qui montrent que au contraire c’est bénéfique pour l’ensemble de la société et l’économie culturelle elle-même et donc une des propositions phares qu’on a formulée et portée notamment au moment des débats sur la loi HADOPI, c’est la reconnaissance du droit au partage pour chaque individu à titre non commercial.

On en est loin et en même temps les débats commencent à s’enclencher au niveau européen, au niveau national, il y a plusieurs propositions en ce sens qui sont formulées, mais l’idée du partage de la culture c’est quelque chose qu’il faut porter et faire en sorte que le cadre juridique s’adapte. Ça passe aussi par l’abandon de tout dispositif anti-copie, donc les verrous numériques que sont les DRM et autres mécanismes visant à empêcher la copie de fichiers d’œuvres culturelles ou tous types d’informations. On propose aussi qu’ils soient déclarés illégaux lorsqu’ils empêchent l’utilisation donc on recommande leur abandon et on aimerait qu’ils soient déclarés illégaux lorsqu’ils empêchent les utilisations licites.

Aujourd’hui lorsqu’on veut copier un DVD sur son ordinateur, même lorsqu’on l’a acquis légalement, il y a des verrous qui empêchent cette copie. Or il existe dans le droit français et le droit européen le droit à la copie privée. Le droit à la copie d’une œuvre dans le cadre privé. Et aujourd’hui les DRM obèrent ce droit et l’utilisation à titre privé. Donc ça c’est un exemple d’une utilisation légale qui est empêchée par les DRM et dans ce cadre-là les DRM devraient être totalement, non seulement abandonnés, mais en plus réprimés.

Deuxième aspect donc dans cet axe de partage de la culture et de la connaissance, l’exploration de nouveaux modèles de financement de création, de la création, de l’information et des médias en général. Une fois qu’on a reconnu le droit au partage et le droit à chaque individu de partager l’information et la connaissance, il faut aussi s’interroger sur la manière en tant que société de comment va-t-on faire pour financer la création de ces savoirs, et à ce titre on a à la quadrature du net, notamment Philippe Aigrain qui est co-fondateur de la quadrature du net et qui travaille sur ces questions depuis longtemps et qui a publié un ouvrage en 2009 intitulé « Internet et création », proposé le mécanisme de la contribution créative qui est une version 2.0 de la licence globale qui avait débattu au Parlement français en 2006, et qui consisterait, donc la contribution créative serait une somme payée par chaque abonné à internet, une somme mensuelle comprise entre 4 et 7 euros, si mes souvenirs sont bons.

C’est une proposition qui est soumise au débat public et qui vise juste à alimenter le débat. 4 à 7 euros qui seraient prélevés en même temps que l’abonnement à internet et qui iraient abonder un fond pour le financement de la création, à la fois la rémunération des artistes et également le financement des activités, enfin le financement de la production musicale et tout ce qui est lié à la création culturelle. A la fois donc la production, des salles concert, des cours de musique, et que sais-je encore, donc financer une politique culturelle grâce à ce fond. Juste pour donner un ordre de grandeur, un prélèvement de 4 à 7 euros par mois par abonné à internet, en 2009, donc ça a dû augmenter depuis, ça aurait permis de récolter environ entre 1, 2 et 1,5 milliards d’euros par an, ce qui est 2 fois le budget de la SACEM, pour donner un ordre de grandeur, donc c’est absolument pas négligeable, et ce serait susceptible de dégager de nouvelles ressources pour financer la création.

Sachant qu’il faut voir cette contribution créative comme un plus et non pas des recettes ou un fond de remplacement qui est contre préjudice dont souffrirait les artistes et la filiale culturelle. Lorsque Philippe Aigrain propose cela, dans son esprit, la contribution créative n’est pas une compensation d’un préjudice, mais bien une somme en plus et la mobilisation de ressources supplémentaires pour encourager la création culturelle et rémunérer les artistes dans leur ensemble. Pour rentrer un peu plus dans les détails, dans la proposition de Philippe Aigrain, il y a également la mise en place d’un observatoire indépendant qui recueillerait les informations volontairement fournies par les internautes sur leur consommation culturelle, qui permettrait d’avoir un aperçu des œuvres et des artistes qui sont écoutés et qui reçoivent de l’attention de la part des internautes et donc ça permettrait de fournir des clefs de répartition, en tout cas de savoir, pour la partie qui concernerait la rémunération des artistes, en tout cas le financement des artistes, ça permettrait de savoir qui sont les artistes qui seraient destinataires donc de ces fonds.

Sachant que là encore il propose de ne pas faire une répartition qui soit proportionnelle, où par exemple un artiste qui a été écouté 10 000 fois reçoit 10 euros, un artiste qui a été écouté 100 000 fois reçoit 100 euros. On pourrait faire des clefs de répartition qui soient logarithmiques, me semble t-il, donc qui permettraient en tout cas de donner proportionnellement un peu plus d’argent aux artistes les moins écoutés pour favoriser une plus grande diversité culturelle.

J’ai bientôt fini mais on m’a dit qu’on pouvait dépasser et qu’on avait encore 7 minutes restantes apparemment. Donc j’ai bientôt fini la présentation, donc on va passer aux questions.

Et au delà de cette nouvelle contribution créative qui serait assise sur les échanges hors marché, non commerciaux entre les individus, il y a toute une réflexion qui s’engage sur la création de modèles économiques qui ne soient pas incompatibles avec le partage. Aujourd’hui on nous explique que le partage de la culture est néfaste à l’économie culturelle et que la seule manière pour qu’il y ait une économie culturelle dynamique, c’est de faire en sorte qu’à chaque échange, chaque consultation d’une œuvre soit associé un paiement. Or il y a de nombreux labels, associations, artistes individuels, qui mettent en place, je suis sûr que vous en connaissez plein, si on faisait un petit brainstorming je suis sûr qu’on pourrait déjà faire une liste des différents modèles économiques qui peuvent être mis en place sans pour autant empêcher les individus d’échanger des œuvres culturelles.

Donc le troisième axe de ces propositions en faveur du partage, de la culture et des connaissances, c’est le renforcement du domaine public et la libération du patrimoine numérique et donc là c’est toutes les questions liées aux données ouvertes, faire en sorte que à la fois le patrimoine numérique culturel donc les bibliothèques en ligne comme Europeana au niveau européen ou celle de la BNF ou les archives de l’INA par exemple puissent être librement accessibles par les citoyens et faire en sorte aussi que les pouvoirs publics s’engagent en faveur d’un modèle de données publiques et ouvertes. Donc là il y a les travaux de l’association Regards Citoyens qui sont en pointe sur cette question et qui cherchent à faire avancer ce débat en France, sachant qu’on est très en retard par rapport à de nombreux autres pays. Donc c’est aussi un aspect extrêmement important.

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Question : Bonjour, au début il y avait une question sur la neutralité enfin il y avait la question de la neutralité et aussi la question du prix enfin des opérateurs qui ne faisaient pas assez d’investissement pour avoir des débits suffisants, est-ce que la question de la neutralité et la question du paiement en fonction des débits sont 2 choses dissociées ou non ? J’imagine que oui.</p

Félix : Aujourd’hui donc en France comme dans beaucoup de pays l’internet est illimité, donc on paye une somme forfaitaire et on a accès à tout l’internet quel que soit le nombre de données, quoique c’est de moins en moins vrai pour l’internet mobile. Lorsqu’on passe à un modèle de Pay as you go, c’est-à-dire qu’on paie en fonction de la consommation, c’est pas incompatible avec la neutralité. Ce sont 2 questions différentes. Forcément la manière dont l’internet va être facturé, l’accès à internet va être facturé au consommateur est important pour favoriser, le modèle illimité c’est ça qui a permis à tout un chacun de développer ses activités sur internet et donc voilà transformer internet en un outil extrêmement puissant et radicalement bénéfique pour l’ensemble de la société. Mais il y a effectivement des velléités de revenir sur ce modèle illimité et c’est bien la neutralité du net dans le sens où au-delà donc de ces restrictions ou de modèles de facturation en fonction de la consommation. Quand on nous parle de la fin d’internet illimité dans la tête des opérateurs, c’est aussi, en fait ils mélangent un peu les 2 questions, parce que c’est aussi par exemple l’internet illimité, mais on va brider le peer to peer, et donc le vocable peut recouvrir les 2 sujets, mais lorsqu’on rentre dans les détails ces 2 questions sont différentes puisque le paiement en fonction de la consommation n’est pas incompatible avec un accès neutre.

Et nous on s’est surtout mobilisés sur la question de l’accès à internet sachant que dans un environnement où la concurrence est assurée entre les différents opérateurs ce qui est loin d’être le cas, mais bon, dans un monde de concurrence vraie parfaite, et en fait dans un marché comme celui de la France on a quand même l’opérateur Free qui est jusqu’à ce jour assez offensif et agressif sur ses offres par rapport à celles des autres opérateurs, on peut estimer qu’il n’y a pas de justification pour que les opérateurs reviennent finalement à une facturation en fonction de la consommation. Cette question est moins sensible que celle de la neutralité.

Est-ce qu’il y a d’autres questions ? Je vous remercie pour votre attention et je vous invite à aller voir notre site internet et poursuivre le débat. Il y a mon mail en bas aussi si vous voulez me contacter pour m’interroger, me critiquer ou que sais-je encore.

Merci. Bonne soirée à tous.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.