Émission Libre à vous ! diffusée mardi 2 juillet 2024 sur radio Cause Commune Sujet pricipal : Malakoff et le logiciel libre


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Malakoff et le logiciel libre, d’une veille active et opérationnelle au Big Bang des outils collaboratifs, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme « Dark pattern » et « La cause du peuple ».

Soyez les bienvenu·es pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter.
N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 2 juillet, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, Julie Chaumard. Salut Julie.

Julie Chaumard : Bonjour Étienne. Bonjour à tous.

Étienne Gonnu : Merci. Nous vous souhaitons une excellente écoute.

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Chronique « La pituite de Luk » – « Dark pattern », rediffusion de la chronique enregistrée le 28 mai 2024

Étienne Gonnu : Nous allons commencer par une pituite de Luk, chronique rafraîchissante au bon goût exemplaire qui éveille l’esprit et développe la libido.
Aujourd’hui, la rediffusion de la chronique du 28 mai, « Dark pattern ». On se retrouve dans quatre minutes en direct sur Cause Commune, la voix des possibles.

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Luk : J’ai découvert, avec un certain plaisir, que l’Europe s’attaque de nouveau à Meta. L’Europe lui reproche, cette fois-ci, ses dark patterns qui, insidieusement, génèrent de la dépendance. Elle s’inquiète particulièrement des effets sur la santé mentale des plus jeunes et se demande si, des fois, Meta ne ferait pas tout le nécessaire pour protéger leur psychisme.

Toujours pour protéger notre précieuse jeunesse européenne, les Pays-Bas ont infligé une amende pas très haute non plus à Epic, l’éditeur de Fortnite. Là aussi, ce sont ses dark patterns qui ciblent les enfants qui sont mis en cause. Ce n’est pas une première, en 2022, les États-Unis alignaient l’éditeur pour sensiblement les mêmes raisons à hauteur de 500 millions. Les Néerlandais arrivent deux ans plus tard avec une prune ridicule d’1,1 million. Ils comptent sans doute sur l’effet comique de leur démarche pour faire rigoler les VP d’Epic et obtenir gain de cause à la pitié.
Mais ce n’est pas tout, un groupement d’associations de consommateurs européens, le BEUC [Bureau Européen des Unions de Consommateurs], attaque également les dark patterns. Cette fois, c’est Temu, le site marchand chinois qui est sur le grill.

Les dark patterns se retrouveraient-ils soudainement en pleine lumière ? Pour les situer un peu, il s’agit de dispositifs destinés à manipuler l’utilisateur afin qu’il fasse telle ou telle chose. En général, dépenser plus de fric.

Les dark patterns sont protéiformes et appliqués dans des domaines différents.
Ils peuvent consister en un gros bouton super visible pour accepter tous les cookies, alors que pour les refuser, il faut cliquer sur un petit lien discret.
Ils s’appliquent volontiers dans le commerce avec des promotions bidons qui affichent des prix barrés délirants qui laissent croire qu’on fait une super affaire ; ou encore un compte à rebours de validité de l’offre qui débouchera sur le même résultat qu’une tentative de lancement de la capsule Starliner de Boeing.
Ça peut également être une inscription validée en un battement de cil, mais une désinscription dont la procédure est cachée au fond d’une crypte, gardée par des goules affamées, nécessitant d’expédier par pigeon voyageur assermenté une lettre signée de son propre sang et cachetée à la cire.
On trouve des dark patterns partout, l’imagination des marketeux et commerciaux qui défèquent ce genre de fonctions est sans limites.
Je connais des power users de systèmes privateurs qui s’en accommodent bien. Ils savent éviter les chausse-trappes. J’en connais beaucoup d’autres qui ne sont pas câblés pour ce genre de chose et qui se font avoir.

À l’époque où j’usais mes cordes vocales sur les stands de l’April, j’ai souvent expliqué qu’un des agréments de GNU/Linux, et du logiciel libre en général, est la tranquillité d’esprit. Les utilisateurs des GAFAM ne savent pas ce que c’est que d’allumer un PC ou un téléphone en toute quiétude. C’est comme rentrer chez soi, enfiler ses pantoufles et se détendre. Sauf, bien sûr, si on a connu Ubuntu avec sa recherche Amazon intégrée.
Alors que les dark patterns, ce serait plutôt comme rentrer dans le logement qu’on partage avec une personne toxique qui nous applique une pression constante, mais avec laquelle on vit depuis tellement longtemps qu’on n’en a même plus conscience.

Le terme dark pattern a émergé dans le monde du numérique, mais il n’en est pas du tout un monopole. Qu’on examine la façon dont est organisée la grande distribution : c’est du dark pattern dans le monde physique. L’organisation de l’espace du magasin, les têtes de gondoles, les prix, tout est pensé pour piéger le client. En politique également, j’ai personnellement eu à subir un dark pattern éculé consistant à faire barrage à l’extrême-droite, en votant pour des gens qui se sont consciencieusement attachés à la faire monter.

Si les dark patterns sont la norme, alors peut-être que leur invocation contre un acteur économique est un prétexte pour aller taper arbitrairement sur un acteur qui nous déplaît ? Par exemple, en Inde, Temu n’est pas un problème, c’est Amazon qui est attaqué.

Cette attaque contre Temu me chagrine donc particulièrement. Il faut voir à long terme et travailler sa note sociale tout de suite, en prévision du moment où ils nous plieront le genou devant l’Empire chinois. Ainsi, je veux bien croire que Meta ou Epic mettent en œuvre des dark patterns, mais Temu non. J’aimerais pouvoir invoquer le rasoir de Hanlon selon lequel il ne faut pas attribuer à la malveillance ce qui peut être expliqué par la stupidité. C’est un outil puissant, grâce à lui, on peut se laver du soupçon de tous les coups pourris à condition de jouer au débile. Mais affirmer que les gens de Temu sont stupides risque de ne pas améliorer ma note sociale. J’affirme donc que Temu œuvre pour notre bonheur et notre bien-être. Ce n’est rien de moins que la Pax Sinica qui nous est proposée. Et si les moyens mis en œuvre pour nous faire sauter le pas ressemblent à des dark patterns, c’est pour mieux nous faire sortir de notre caverne de Platon, afin d’entrer directement dans celle d’Alibaba.

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : De retour dans Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques. C’était la pituite de Luk sur le thème des dark patterns, une chronique enregistrée le 28 mai 2024.
Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Après la pause musicale, nous parlerons de l’histoire du logiciel libre à Malakoff.
Avant cela, nous allons écouter Fascist par Momma Swift. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Fascist par Momma Swift.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Fascist par Momma Swift, disponible sous licence Creative Commons Attribution, CC By.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Passons maintenant à notre sujet suivant.

[Virgule musicale]

La mairie de Malakoff et le logiciel libre - De la longue veille active et opérationnelle sur les logiciels libres dans les services publics au Big Bang des outils collaboratifs

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur l’histoire du logiciel libre à Malakoff avec Corinne Migeon, DSI [Directrice des services d’information] de la ville, et Grégory Gutierez, conseiller municipal délégué « Numérique et Citoyenneté ».
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Corinne, Grégory, merci de vous être joints à nous. Vous êtes venus au studio, c’est donc vraiment un plaisir de vous recevoir. Nous avons longuement échangé en amont de cette émission pour préparer, je pense qu’on va faire une très belle émission, en tout cas, je pense que ça plaira à nos auditeurs et auditrices.
Je vais vous proposer de commencer de manière, somme toute, très classique, par une présentation rapide de l’un et de l’une. Corinne.

Corinne Migeon : Bonjour à tous. Merci de nous avoir invités.
Je suis Corinne Migeon, je suis directrice des systèmes d’information et du numérique à la mairie de Malakoff, depuis très longtemps déjà, puisque je suis arrivée à la mairie de Malakoff en 1987 et je vais la quitter définitivement au cours de cet été. Donc un parcours qui est un parcours de service public, par choix, et un parcours dans l’informatique, par choix aussi, en ayant parcouru un peu ces 30 dernières années de l’informatique mainframe du personal computer et à tous les outils qu’on a vu fleurir et dont on a besoin pour le développement des services publics, notamment post-décentralisation avec l’explosion des besoins des collectivités territoriales pour pouvoir rendre le service de la meilleure manière pour les citoyens.

Étienne Gonnu : Je précise que mainframe, c’est plutôt ce qui va être côté serveur et personal computer, les PC, les ordinateurs. C’est vrai que c’est rare d’avoir quelqu’un, comme vous, qui va pouvoir nous proposer un regard, une perspective de long terme, on va dire, sur les évolutions, sur les questions qui ont traversé ces dernières décennies. Je pense que ce sera donc très intéressant de vous écouter. Je ne vais pas rentrer dans les détails de certaines choses que vous avez évoquées.
À côté de vous, Grégory Gutierez.

Grégory Gutierez : Bonjour. Grégory Gutierez, j’ai 49 ans, je suis conseiller municipal dans la majorité, à Malakoff, dans les Hauts-de-Seine, c’est la première fois que j’ai un mandat électif et je suis un vieux geek, donc, j’essaye d’allier les deux, la politique et l’informatique, je pense que l’informatique est aussi une question politique.

Étienne Gonnu : On est évidemment d’accord à l’April. Moi-même, je ne suis pas informaticien et j’en suis persuadé. On fait du logiciel libre parce que c’est justement un sujet politique. Juste après, on va parler un peu plus en détail de votre parcours qui est intéressant et qui, je pense, va aussi éclairer nos échanges.
Enfin, avant de rentrer dans le vif du sujet, on va dire, peut-être pourriez-vous présenter un peu Malakoff que ce soit en termes de démographie, d’histoire politique ? On sait que c’est ce qu’on appelle une « ville rouge », entre guillemets, qui a une histoire politique connue de ce point de vue-là. La démographie, combien d’ordinateurs au sein de la DSI ?, qu’on ait un peu une idée.

Corinne Migeon : OK. Je commence Grégory.
Malakoff est une ville de la petite couronne parisienne, 30 000 habitants, c’est une ville de tradition ouvrière, qui a une représentation à gauche et l’Union de la gauche aujourd’hui, avec les composantes de la gauche. C’est une ville qui, dès l’après-guerre, s’est beaucoup marquée sur le développement des services publics, notamment avec deux grands axes, qui perdurent encore aujourd’hui, autour de l’éducation et autour de la santé. Par exemple, on a un très gros centre municipal de santé avec énormément de spécialités, un service d’imagerie médicale, donc, des services qui n’existent pas partout, que ce soit en région parisienne ou, évidemment, en région. Donc des services publics assez développés, la plupart en régie directe, pareil, avec un choix de garder la régie directe le maximum possible.
Et puis, plutôt côté numérique et informatique, on a à peu près entre 6 et 700 postes, ça dépend si j’intègre dedans les écoles ou pas. On a 15 écoles — 7 maternelles, 6 élémentaires —, et 2 collèges.

Étienne Gonnu : On rappelle que les municipalités ont la charge des écoles.

Corinne Migeon : Tout à fait, y compris de l’informatique ; l’Éducation nationale n’investit pas dans l’informatique, elle investit dans la pédagogie, mais pas dans les moyens, donc, les collectivités de la strate des mairies financent les bâtiments mais aussi le matériel. Dans ce cadre-là, il y a effectivement eu, au départ, le plan informatique pour tous fin des années 80 et, ensuite, l’informatisation de l’aspect administratif puis pédagogique dans les écoles. Chaque mairie a eu son propre plan de développement dans le cadre de la liberté de chaque territoire, donc, les services municipaux sont informatisés avec des applications métiers qui correspondent sur le côté vertical à, on va dire, une quarantaine de métiers différents, de besoins fonctionnels différents. Une mairie ce n’est pas simplement un logiciel de facturation, un logiciel RH, un logiciel de finance. Une mairie ce sont des espaces verts, ce sont des ateliers municipaux ; pour nous, c’est un centre de santé d’informatique médicale, c’est de l’administratif, c’est de l’état civil, ce sont des affaires sociales. On a donc un panel d’usagers, de citoyens, donc de besoins à couvrir, donc, derrière, il faut donner les outils et les moyens qui correspondent aux besoins pour les services, pour pouvoir instruire la demande de l’usager et le service rendu.

Étienne Gonnu : Parfait. Vous avez déjà devancé la question suivante qui est de décrire un peu ce qu’est une DSI, etc. En fait, vous venez de nous préciser, en quelques mots, ce que c’est.

Corinne Migeon : Le périmètre, en tout cas dans le périmètre de Malakoff, de ma DSI, de ma Direction des systèmes d’information, c’est à la fois informatiser les services municipaux, c’est-à-dire avoir des grands choix stratégiques d’informatisation métiers, mais aussi, évidemment, transverses, avec les outils de collaboration, on aura l’occasion d’y revenir, mais aussi tout ce qui est autour des écoles dans le cadre de l’informatique administrative et pédagogique des écoles ; un autre axe de ma direction, en tout cas propre à Malakoff, que j’ai porté avec ma collègue de la Direction de la vie sociale et des quartiers, c’est aussi l’inclusion numérique, quelque chose auquel je suis particulièrement attachée.

Étienne Gonnu : On prendra le temps de développer en fin d’émission, après avoir parlé de l’histoire du logiciel libre à Malakoff. On avait convenu d’en parler parce que je trouve que c’est un sujet effectivement très important.
Grégory, est-ce que vous souhaitez rajouter quelque chose ?

Grégory Gutierez : On peut dire que Malakoff est une des rares villes encore à gauche dans les Hauts-de-Seine, un territoire où beaucoup de municipalités sont plutôt à droite, c’est donc une des dernières villes qui tient encore de ce côté-là. C’est aussi, par exemple, un lieu d’expérimentation sociale, sociétale, où l’ESS, l’Économie sociale et solidaire, est très présente. On est donc dans un écosystème assez particulier à Malakoff, au sein des Hauts-de-Seine.

Étienne Gonnu : Entendu. C’est vrai que le logiciel libre n’est pas un sujet que des partis de gauche, mais traditionnellement, historiquement, ce sont plutôt plus souvent des municipalités à gauche qui ont eu tendance à porter le logiciel libre, donc ce n’est pas non plus complètement anodin que ce soit aussi le cas à Malakoff. Peut-être que vous l’avez dit, quelle est la population de Malakoff ?

Grégory Gutierez : Trente mille habitants sur deux kilomètres carrés de superficie.

Étienne Gonnu : D’accord, très haute densité humaine.
On va revenir vers vous, Corinne, on reviendra ensuite vers Grégory, vous qui avez été élu en 2020, en plus, on se souvient, dans le contexte du Covid. Avant cela on va rester avec Corinne. Vous avez dit que vous êtes arrivée en 1987. En plus, vous m’avez expliqué que quand vous êtes arrivée vous avez plus ou moins, même complètement, mis en place la direction des systèmes d’information. Je trouve intéressant, dans cette partie, de parler de la façon dont on envisage cela, comment on envisage ce métier. Alors 1987, ce n’est pas exactement le même contexte technologique, l’informatique est quand même déjà assez présente. D’ailleurs, je précise que le mouvement du logiciel libre a commencé autour de 1984, quand les premiers fondements ont été réfléchis et posés, notamment par monsieur Richard Stallman aux États-Unis, pour situer cette période.
Vous arrivez à Malakoff en 1987 et votre tâche est donc de monter une DSI.

Corinne Migeon : Une de mes tâches au début, parce que c’était le tout début, dans les collectivités territoriales, qu’on parlait de l’informatique. En gros, les missions qui étaient gérées par des gros systèmes à l’époque, c’étaient la gestion du fichier électoral, la gestion de la paye et la gestion des finances. En fait, il y avait un mini système avec un terminal à la paye, un terminal aux élections et terminal aux finances ; quand je dis un terminal, ce sont un ou deux terminaux, ce n’est pas le nombre qui est important. En fait, ce sont ces fonctions-là qui étaient informatisées. Il faut se remettre dans l’histoire : les mairies n’avaient pas autant de compétences qu’elles n’en ont eu après les lois de décentralisation.
Je finis mes études, je rentre dans la fonction publique par choix, fonction publique territoriale et j’arrive dans un contexte au moment de la mise en œuvre des lois de décentralisation qui donnent des compétences larges aux collectivités territoriales et, particulièrement, aux mairies. Donc, au travers de ces nouvelles compétences, développement des services publics, du coup, qui dit développement des services, dit, derrière, développement des outils pour pouvoir rendre le service.
C’est le début de l’informatique personnelle, l’informatique qui sort des gros systèmes. J’achète les premiers personal computers pour pouvoir commencer à faire de la bureautique. Il n’y a pas encore d’accès à Internet, tout cela n’existe pas encore, en tout cas pas d’accès à Internet démocratisé et accessible financièrement.

Étienne Gonnu : D’ailleurs, nous sommes aussi au tout début du Web.

Corinne Migeon : Au tout début du Web. On fait un choix un peu stratégique : mettre en place, pas à pas, l’informatique orientée métier en travaillant, d’entrée de jeu, sur ce qui va me guider tout au long de ma carrière : quels besoins j’ai, quels usages et en face je vais regarder quels sont les outils qui correspondent pour rendre correctement le service, tout en ayant en tête la structuration des données, le respect des données, la protection des données et puis en essayant de faire assez vite des ponts entre les outils, la possibilité d’interagir le plus possible.

Étienne Gonnu : Donc dès le départ une approche, une réflexion basée sur les besoins, sur les usages, partant de là. Souvent, quand on parle avec des personnes qui défendent le logiciel libre, cette vigilance et cette nécessité de point de départ est souvent présente, d’ailleurs, elle se pose aussi dans le contexte d’une conception plus responsable, plus durable de l’informatique ; ces questions sont vraiment centrales.
Lorsqu’on a préparé l’émission, vous m’avez aussi dit très rapidement que votre approche a été de toujours garder un œil sur les alternatives.

Corinne Migeon : C’est ça. C’est-à-dire que quand on traverse toute cette époque de foisonnement de solutions techniques, de foisonnement technologique qu’on a connu ces 30 dernières années, je me suis toujours posée, à des moments, avec une posture d’œil extérieur pour regarder ce qui se passe et me réinterroger – y compris dans ma pratique managériale – toujours en regardant ce qui se passe, prendre un peu de hauteur, faire l’analyse, le bilan, me demander : « Est-ce que ce que j’ai mis en place correspond aux besoins ? Du coup qu’y a-t-il comme autres outils autour qui pourraient nous permettre de rendre mieux le service ? » ; avec, toujours, la question économique au cœur parce que Malakoff n’est pas une ville riche. Du coup, question des besoins, question économique et question éthique. Dans ma pratique professionnelle, dans tous les volets de ma pratique professionnelle, ma manière d’aborder les sujets a toujours été de reposer la question éthique, en permanence. C’est-à-dire que je fais toujours une pondération entre ce que je suis obligée de faire en termes d’outils à mettre en place et ce que j’aimerais faire pour rendre le service plus facile pour l’utilisateur et aussi pour l’usager.

Étienne Gonnu : Très bien. Très clair.
On avance un peu dans le temps. Vous m’avez dit que vers 2010 et à nouveau en 2014, sur un autre sujet mais qui me semble très lié, s’est posée la question de la dématérialisation. C’était une période où la question était à la mode non seulement politiquement, mais l’envisager avait aussi un sens, donc cette question la dématérialisation interne. En 2014, vous parlez aussi du cartable numérique des élus, je pense que ça participe de la même trajectoire. Pouvez-vous nous reparler un petit peu, expliquer cette notion de dématérialisation aux personnes qui ne sont pas familières de cette notion, même si, je pense, qu’elle est assez connue maintenant, mais ça ne fait jamais de mal de reposer des définitions ? Nous parler, peut-être, des questions que vous avez dû vous poser à ce moment-là.

Corinne Migeon : Pour moi, c’est une époque charnière. Dans les années 90/2000/2005, on est dans l’explosion des besoins des collectivités territoriales, les nouveaux services qu’on rend à la population, etc., donc on est dans une logique métier, on est dans une période où les éditeurs développent des produits spécifiques aux collectivités territoriales parce qu’on a des besoins spécifiques ; on est dans cette informatisation verticale métiers et assez peu d’outils collaboratifs, assez peu d’outils transverses. J’enlève la messagerie, je la mets de côté, elle commence autour des années 2000 à vraiment se développer, donc, la collaboration horizontale, ce n’était que la messagerie. Au début, les accès internet, c’est un point d’accès par service ou par direction. Tout cela monte petit à petit.
Je vois un point charnière important dans les années 2010 : les services de l’État commencent aussi à être bien informatisés ; vous savez que les collectivités territoriales ont des relations importantes avec les services de l’État soit côté finances, soit côté préfecture, évidemment. Au travers de cela, il y a le besoin de dématérialiser les flux. Au travers de la dématérialisation des flux, la réflexion c’est d’abord sur la dématérialisation des flux internes et comment on va dématérialiser vers l’extérieur.
Dans la réflexion, je me dis que ce sujet-là est transverse, je ne peux pas l’attraper de manière verticale et avoir des choix qui me sont imposés par la partie éditeur métiers, parce qu’il y a des sujets sur lesquels on n’a pas le choix. Je me dis que ce sont des sujets transverses, il faut que je regarde vraiment les solutions qu’il y a sur le marché et, surtout, comme j’ai toutes mes briques verticales, qui sont différentes, qui sont globalement construites avec les mêmes outils, parce que c’est une époque – grosses bases de données, même système d’exploitation, etc. –, mais qui sont issues, quand même, d’environnements différents, je me dis qu’il faut, d’entrée de jeu, que je travaille sur l’interopérabilité parce qu’il va falloir que je fasse communiquer toutes ces briques. Du coup, à partir du moment où se pose la question de l’interopérabilité, assez vite on fait le choix de regarder ce qui existe en dehors des systèmes propriétaires.

Étienne Gonnu : Quand on défend le logiciel libre, cette question de l’interopérabilité nous est chère, notamment celle des formats ouverts qui sont des garanties structurelles d’interopérabilité, mais ce n’est pas forcément une notion qui est simple à appréhender, notamment pour les personnes moins familières, peut-être pourriez-vous essayer de la définir ?

Corinne Migeon : L’interopérabilité, c’est la manière de faire communiquer des systèmes d’information avec des outils développés dans des langages différents ou dans des systèmes d’exploitation différents ou dans des univers différents.

Étienne Gonnu : Très clair, et à distinguer de la compatibilité ; là, c’est vraiment l’ouverture et la connaissance des spécifications techniques qui permettent d’assurer ce dialogue.
Grégory, en préparant l’émission, j’ai bien compris à quel point ce sujet vous était cher d’un point de vue politique et je crois que vous auriez peut-être aimé partager votre grille de lecture sur cette question d’interopérabilité.

Grégory Gutierez : Cette question d’interopérabilité, d’un point de vue technique d’une mairie, est super intéressante, d’un point de vue professionnel et d’un point d’utilisation du Net et du numérique en général.
Le pendant plus grand public, c’est la question, me semble-t-il, de la distinction à faire entre les données personnelles qu’on génère en utilisant les logiciels et les logiciels qu’on utilise pour générer ces données ou pour les retravailler après. C’est quelque chose qui était à peu près évident au début de l’informatique pour tous et de l’arrivée d’Internet, etc., et qui ne l’est plus du tout aujourd’hui, parce qu’on a des entreprises privées, à but lucratif, qui font leur beurre financièrement sur les données personnelles que nous pouvons générer et qui n’ont pas du tout intérêt à ce que ce que vous créez sur ces plateformes, par exemple Facebook au hasard, puisse se retrouver sur d’autres plateformes.
Quand on regarde ce qui se passe du côté des alternatives ouvertes, libres, open source, etc., je pense, par exemple, au réseau social Mastodon, c’est super intéressant de voir à quel point la notion de données personnelles est très importante dans ces alternatives parce qu’elles sont décorrélées de l’application ou du portail avec lesquels on les génère.
Par exemple, si vous allez sur X, le réseau marchand d’Elon Musk, vous pouvez y publier plein de choses, mais vous ne pouvez pas les publier ailleurs que sur X, à part en faisant des petits partages à droite à gauche en privé ; ce que vous partagez sur X, vous ne pouvez pas le voir facilement sur Facebook, en tout cas, ça ne sera pas mis en avant. Alors que quand vous êtes sur le fédivers, sur Mastodon par exemple, vous pouvez avoir plusieurs applications différentes pour générer votre contenu ou pour le lire ou pour le partager avec d’autres portails de la même galaxie du fédivers.

Étienne Gonnu : Parce qu’ils partagent un protocole. On sait que le logiciel de partage de vidéos PeerTube va pouvoir fonctionner communiquer et permettre le partage.

Grégory Gutierez : Exactement. Ou avec Pixelfed, un équivalent d’Instagram.

Étienne Gonnu : Il y a plein d’exemples.

Grégory Gutierez : En fait redécouvrir, tout simplement, ces usages-là, permet de se rendre compte que les données, les photos que je publie, les informations, les avis que je donne, pour peu qu’ils soient un minimum pertinents, etc., sont indépendants, doivent être indépendants de la société qui me permet de les exprimer sur le Web, en tout cas, c’est un choix qu’on peut faire. Et je trouve que c’est un choix qui est beaucoup plus rassurant, au final, notamment du fait que le numérique et les réseaux sociaux ont pris une telle place dans la société et, en particulier, au niveau démocratique. Qu’on le veuille ou non, le numérique est super présent aujourd’hui. On a plein de chaînes de télé ou de radio qui regardent quelles sont les tendances de Twitter du moment, de X, pour décider quels seront les sujets de leur programmation dans la journée. Donc, qu’on le veuille ou pas, les réseaux sociaux sont très importants pour rythmer la vie publique et le débat démocratique et ça ne peut pas se faire dans de bonnes conditions si c’est fait par l’intermédiaire d’outils développés par des entreprises privées.

Étienne Gonnu : Je pense que vous avez dressé un bon portrait des enjeux, notamment autour de cette question de l’interopérabilité. C’est vrai que c’est une notion qu’on entend régulièrement ; je trouve toujours bien de se rappeler concrètement ce que ça veut dire et quels sont les enjeux qui s’y attachent. Je crois que vous avez rapidement évoqué cette idée que le cloud c’est toujours l’ordinateur de quelqu’un d’autre, que c’est une forme de dématérialisation qui là, pour le coup, est plus pernicieuse parce qu’elle nous dépossède, alors qu’on voit aussi, pour revenir un petit peu à ce fil historique de Malakoff, quels bénéfices, au début, ça a pu commencer à installer. Vous avez donc travaillé à cette mise en place.

Corinne Migeon : C’est ça. On a travaillé à cette mise en place de la dématérialisation avec des acteurs du logiciel libre, qui étaient à l’époque en Scop, etc., donc une démarche un peu différente, démarche de mutualisation sur un ensemble de collectivités qui étaient dans la même communauté d’agglomération. On avait, d’entrée de jeu, entre ces quatre collectivités à l’époque, l’idée de se dire « on a des besoins communs, on fait le choix de travailler sur l’interopérabilité, y compris, potentiellement, de pouvoir réfléchir, peut-être, à des partages qui vont plus loin que la collectivité : mutualisation, partage de stockage, partage de licences, financiers, etc. » Donc tout ce qui est, en fait, le modèle alternatif du logiciel libre : mutualisation, partage, interopérabilité, on a là toute la terminologie de cette philosophie, cette éthique un peu différente. C’est vrai que sur les outils transverses, faire ce choix-là, stratégiquement parlant, c’était un choix majeur, vraiment un choix majeur à ce moment-là, parce que ça permettait de donner la direction dans un certain sens.
En 2014, je propose à la maire de l’époque de dématérialiser complètement les travaux du conseil municipal jusqu’au jour du conseil municipal, avec ce qu’on a appelé le cartable de l’élu, c’est-à-dire un outil de type tablette de grand fournisseur du marché, mais, avec une application qui est développée complètement, pour laquelle, d’ailleurs, on est bêta-testeur à ce moment-là. À l’époque, la maire me dit « banco, on y va » et dès le premier conseil de ma mandature et c’est incontournable. C’est une notion sur laquelle je reviendrai peut-être après : comment, à un moment donné, on fait la différence dans la conduite de changement et, là, ça a été un point très important puisqu’on est toujours avec les mêmes outils aujourd’hui, pour cette mandature 2020/2026, ça fonctionne et tout le monde en est content.

Étienne Gonnu : Comment travaillez-vous, à cette époque, avec les élus ? Vous avez dit que la maire vous fait confiance, elle vous dit « banco, allez-y ». Avez-vous dû convaincre ? On sait que souvent, dans les arbitrages, certaines personnes politiques, mais ça peut s’entendre par ailleurs, préfèrent, quelque part, le côté rassurant des marques connues des grands éditeurs, on connaît, on fait comme on connaît. Est-ce que ça a été difficile, pour vous, de convaincre ?

Corinne Migeon : C’est toujours difficile de convaincre, mais c’est notre travail en tant que DSI : quand on fait des choix stratégiques, il faut toujours convaincre. Déjà, il faut être convaincu soi-même et, après, la conviction s’est faite sur deux axes : la partie choix politique et éthique et la partie choix économique, parce que, de toute façon, à un moment donné, le fait de poser la question économique, et pas parce que c’est un modèle gratuit, parce que rien n’est gratuit, on a eu des frais de mise en place, de licences, etc., forcément ; par contre, le fait de poser l’enjeu qu’on n’est pas pieds et poings liés sur une solution technique, licenciée, comme on l’a pour d’autres applications dans les collectivités territoriales, aussi parce qu’on n’a pas forcément le choix, ce sont des arguments qui ont porté. Le fait de toujours poser la question, y compris avec les élus : on a besoin de ça, j’ai besoin de fonctionner comme ça, j’ai besoin d’aller vers ça, avec telle orientation stratégique, pour telle raison, on ne réussit pas toujours à convaincre, mais, à ce moment-là, ça c’est fait.

Étienne Gonnu : D’accord. De ce que je comprends c’est, finalement, que vous étiez moteur de propositions. Il n’y avait pas un point de départ politique, même si votre approche peut l’être en partie par ailleurs, c’est depuis la DSI que vous avez dû chercher à convaincre pour mener…

Corinne Migeon : C’est ça. Il y a quand même une feuille de route politique, avec une relation de confiance sur la base, les fondements [Note de l’intervenante] de la feuille de route politique ; c’est la traduction opérationnelle et stratégique côté numérique.

Étienne Gonnu : Puisqu’il n’y avait pas de conseiller ou de conseillère au numérique.

Corinne Migeon : Il y en a eu, il n’y en a plus eu, il y en a eu à nouveau.

Étienne Gonnu : D’accord. Je pose la question parce que, si on suit le fil de votre histoire, on arrive en 2020, on y reviendra, ça a été, bien sûr, l’année où a commencé le Covid, mais ça a aussi été une élection municipale, donc, Grégory, vous étiez sur la liste candidate qui a gagné les élections. Vous êtes à la délégation « Numérique et citoyenneté ». Je trouve que c’est toujours intéressant, parce que, on sait qu’il y a une liberté dans la définition des mandats et, parfois, on a plutôt « Numérique et économie », etc., je trouve l’association numérique et citoyenneté intéressante. Je vous laisse nous en parler.

Grégory Gutierez : Élaborer ! Quand nous avons été élus, on m’a souvent posé la question de savoir pourquoi j’avais ce portefeuille-là, « Numérique et citoyenneté », y compris de la part d’autres élus qui me demandaient quel est exactement le rapport entre les deux. Ça me semblait évident. Encore une fois, dans la vie numérique que l’on a aujourd’hui, qui s’impose quasiment à nous, il était nécessaire que les questions de l’expression citoyenne passent forcément par des outils informatiques et par le numérique aujourd’hui et le rôle d’une mairie est de s’assurer, en tout cas d’expliquer aux gens, pourquoi c’est important et quels sont les risques possibles, les dangers possibles, etc.
J’avais une approche qui se voulait, c’est peut-être un peu prétentieux, avec un peu de pédagogie sur le sujet. En 2020, on avait déjà beaucoup de débats sur les fake news, la désinformation qui sortait sur le Net sur plein de sujets, notamment sur des sujets de démocratie. Il n’y a pas longtemps, un dossier est sorti, je ne l’ai pas sous les yeux, sur les influences étrangères en France en temps d’élection, on est donc en plein dedans, notamment les ingérences russes qui passent par les faux comptes sur Twitter et ailleurs – sur X, je n’arrive pas à m’y faire, mais je vais y arriver !
Donc « Numérique et citoyenneté », c’était déjà pour expliquer des choses très simples aux citoyens et citoyennes de Malakoff, la première étant ce qu’on appelle habituellement des données personnelles, que, à mon avis, on peut tout à fait rebaptiser informations intimes, des informations vraiment intimes des personnes qui sont sur leur téléphone portable, dans les pages de leur navigateur sur leur ordinateur, etc., donc cette question des données personnelles. La question, aussi, du fait qu’un outil qu’on utilise sur son ordinateur n’est pas apparu, comme ça, par magie, il a été fabriqué, selon quelles règles, et là on arrive sur la question des logiciels libres, open source, ou logiciels propriétaires, qu’on appelle aussi logiciels privateurs, privateurs de droits. Ce sont des choses qui s’expliquent, qui ne sont pas évidentes pour le grand public. Quand on va acheter une tablette ou un ordinateur pour le gamin ou pour la grand-mèredans une grande surface — je dis ça parce que ça m’est arrivé —, on ne se pose pas la question de ce qui fait tourner l’ordinateur. Il est vendu avec Windows ou avec Apple et point barre, c’est comme ça ; c’est comme ça que ça existe, point barre.

Étienne Gonnu : Je trouve que votre parcours, on n’en a pas encore parlé, est intéressant parce qu’il va éclairer, je pense, la suite. Il éclaire votre engagement vis-à-vis du logiciel libre. Vous arrivez déjà convaincu, vous avez posé, on en parlera plus tard, une feuille de route qui mentionne explicitement le logiciel libre ; le logiciel libre fait partie de votre histoire militante, je pense qu’on peut le dire ainsi. Pouvez-vous nous parler un petit peu de votre parcours, notamment de la place du logiciel libre dans celui-ci ?

Grégory Gutierez : Je vous rassure, je ne vais pas être très long sur le sujet. Ça commence à la fin des années 80 quand j’arrive à convaincre mes parents qu’il faut absolument m’acheter un Amstrad CPC 6128.

Étienne Gonnu : Les connaisseurs apprécieront !

Grégory Gutierez : Et que je commence à coder un petit peu pour faire des menus de jeux sur les disquettes que j’échange avec mes copains à l’école. Ensuite, je passe sur un PC avec Windows 3.1, je m’ennuie profondément là-dessus. À cette époque, au tout début des années 90, je tombe sur un magazine, dans une librairie papeterie, Linux Magazine, avec un cédérom pour installer, je crois, une distribution Mandrake. Je me dis « mais, c’est génial ! ». En plus, on m’explique que tout ça est ouvert et gratuit, que ce sont des gens qui collaborent entre eux pour développer le bidule, que ce ne sont pas des entreprises, super intéressant !
Donc, personnellement, j’ai toujours testé des distributions Linux, même si, pour le boulot, pour mes obligations d’adultes, à certains moments j’étais sur un Windows ou sur un Mac, je n’ai jamais totalement abandonné. Et, dans mon engagement politique, je suis dans le Parti des écologistes depuis 2010/2011, j’ai adhéré à ce parti, notamment en partie parce qu’il y avait une communauté de geeks à l’intérieur qui étaient déjà sensibilisés à ces questions-là et parce que la philosophie de l’open source, à l’époque, imprégnait même la réflexion politique. Je me souviens d’un édito dans Le Monde, ce devait être en 2011, à cette époque c’était signé par Daniel Cohn-Bendit, sur le fait qu’il fallait réussir à faire de la politique comme on fait de l’open source, c’est-à-dire de manière collaborative, avec tout le monde, de manière itérative. Je trouvais que c’était assez courageux de présenter les choses comme ça, que c’était super important pour la chose publique, pour la République.
Je me suis donc lancé là-dedans. Dans mon parti, au sein d’Europe Écologie les Verts à l’époque, j’ai eu pas mal de fonctions en interne, j’ai notamment participé aux activités du comité des outils numériques de mon parti et à ce titre, en 2020, j’ai fait partie de ceux qui ont milité pour qu’on abandonne les messageries instantanées comme WhatsApp ou Telegram pour privilégier Signal, parce qu’il y avait une encryption de bout en bout, un chiffrage de bout en bout des échanges. Cela avait été repris à l’époque, en interne. Aujourd’hui, encore beaucoup de gens utilisent Signal dans le parti, mais pas que, il y a des gens qui sont totalement réfractaires, qui disent « WhatsApp fonctionne très bien, pourquoi est-ce qu’on passerait à autre chose ? – Quand on a un candidat à la présidence qui critique ouvertement Poutine pendant qu’il y a une guerre à nos portes, ce serait peut-être bien de ne pas utiliser Telegram dont les serveurs sont en Russie, on ne sait jamais, avec une encryption qui n’est pas géniale non plus ! ». Ce genre de petit détail, peut-être qu’à un moment, ça peut jouer un rôle !

Étienne Gonnu : Oui, dans un parti politique, on peut espérer une grille de lecture politique des sujets.

Grégory Gutierez : Ce n’est pas évident non plus !

Étienne Gonnu : Merci. Je pense que ça éclaire bien. Savoir qui parle, d’où vous parlez, quelle connaissance, quelle place occupe le logiciel libre dans votre histoire. On va ensuite parler de la feuille de route que vous avez pu rédiger à votre arrivée.
Avant cela, je vous propose de faire une pause musicale. Nous allons écouter Peace Like a River par HoliznaCC0. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Peace Like a River par HoliznaCC0.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Peace Like a River par HoliznaCC0, disponible sous licence Libre Creative Commons CC0 qui se rapproche le plus d’une cession volontaire dans le domaine public.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu pour l’April et vous écoutez Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques.
Nous discutons de l’histoire du logiciel libre à Malakoff avec Corinne Migeon, DSI de la ville, et Grégory Gutierez, conseiller municipal, délégué « Numérique et citoyenneté ».
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Nous discutions effectivement de l’histoire du logiciel libre à Malakoff. Nous étions rendus en 2020, date à laquelle Grégory a été élu conseiller municipal, comme je le disais, « Numérique et citoyenneté ».
Je vais juste revenir un tout petit peu en arrière, parce qu’on a une question sur le webchat. Corinne nous a expliqué qu’en 2010 il y avait eu toute cette question sur la dématérialisation. Sur le webchat, Marie-Odile nous demande si vous avez été en contact avec l’ADULLACT [Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales]. En préparant l’émission, il me semble, justement, que vous avez dit que vous avez travaillé avec l’ADULLACT à ce moment-là.

Corinne Migeon : En fait, complètement. J’ai été en contact avec l’ADULLACT et on a travaillé avec l’ADULLACT Projets, donc côté ADULLACT associatif, dans des sphères, je dirais, de réseaux professionnels et, après, on a travaillé avec l’ADULLACT Projets qui était l’intervenant sur le sujet de la dématérialisation open source pour les collectivités territoriales.

Étienne Gonnu : Je précise que l’ADULLACT est une association qui promeut le logiciel libre auprès des collectivités territoriales et qui propose des solutions, il y a deux branches, comme vous l’avez expliqué.

Corinne Migeon : Et nous sommes toujours dans la suite de ces premiers investissements et premiers engagements autour des produits développés par ce système-là.

Étienne Gonnu : Merci à Marie-Odile pour cette question. C’est effectivement une précision intéressante parce que l’ADULLACT fait un travail important auprès des collectivités et heureusement.
Donc 2020, Grégory, vous êtes élu, vous nous avez parlé un petit peu de votre parcours, ce qui vous a amené à cette appétence pour le logiciel libre. Vous avez donc porté une feuille de route qui parle de logiciel libre. Souhaitez-vous élaborer là-dessus, peut-être, tout en répondant à la question : vous êtes élu au sein d’une majorité, pas seulement Europe Écologie les verts, une majorité de gauche, quelle place occupe le logiciel libre ? Vous avez un mandat, avec, quelque part, une feuille de route qui a été acceptée : est-ce que ça a été difficile de pousser le logiciel libre ? Est-ce que ça a été tout de suite soutenu ?, sans vouloir vous mettre en faux par rapport à vos collègues.

Grégory Gutierez : Bien sûr ! Déjà un grand merci à la maire actuelle de Malakoff parce qu’elle a demandé à chacun des élus municipaux de rédiger une feuille de route, ce n’est pas une obligation, ça ne se fait pas dans toutes les mairies et, une feuille de route, ça engage, c’est-à-dire expliquer, en quelques pages, ce qu’on compte faire tout au long de la mandature et ça reste ; les paroles ne restent pas, les écrits oui. On peut toujours trouver ces feuilles de route sur le site de la mairie de Malakoff.

Étienne Gonnu : Je précise qu’elles seront disponibles sur la page de l’émission, si quelqu’un veut les consulter.

Grégory Gutierez : J’ai rédigé entièrement la mienne et je l’ai proposée tel quel à la maire et à son cabinet qui ont dit « banco, on fait comme ça. C’est très bien, on te fait confiance et tout ».
Dans cette feuille de route il y a trois points principaux :

  • la lutte contre l’exclusion numérique, ce qu’on appelle aussi l’illectronisme, qui touche quand même entre 20 et 25 % de la population en France. Pour s’apercevoir de ce dont il s’agit, si vous avez une maman un peu âgée, qui doit faire ses déclarations de revenus sur le Web, vous savez de quoi il retourne, rien que ça, je parle d’expérience. Ça touche beaucoup de personnes, des familles entières qui ont du mal avec l’outil informatique, ne serait-ce que parce que ça coûte cher d’avoir quelque chose qui fonctionne bien, qui soit rapide, etc., mais aussi quand on ne maîtrise pas super bien le français, par exemple, et pas super bien l’informatique, on est très vite complètement perdu. L’inclusion numérique est donc un premier volet ;
  • le deuxième volet est le développement, autant que possible, et l’encouragement aux logiciels libres, open source, aux alternatives non privées, etc. ;
  • et le troisième est d’essayer de porter l’open data au sein de Malakoff et au niveau départemental. Il existe déjà un portail d’open data. au niveau des Hauts-de-Seine, qui est bourré d’informations super intéressantes, mais, comme beaucoup de portail open data, si on n’est pas soi-même un petit peu familiarisé avec l’informatique, un peu geek sur les bords et tout ça, le grand public ne va pas sur ce genre de portail.

Étienne Gonnu : L’open data c’est l’ouverture des données produites par les administrations.

Corinne Migeon : Non personnelles.

Étienne Gonnu : C’est ça, non personnelles, évidemment, ça fait partie des exceptions à l’ouverture, c’est logique.

Grégory Gutierez : Ça peut être très intéressant : par exemple, sur l’open data du département des Hauts-de-Seine, on a scanné de vieilles cartes du département, d’il y a un siècle, deux siècles, trois siècles, avant que ça s’appelle les Hauts-de-Seine, évidemment, on a donc beaucoup de cartes numérisées, des cartes postales aussi des différentes villes, celles qui ont bien voulu se prêter au jeu, ouvrir leurs archives et les numériser et puis aussi des données beaucoup plus factuelles : le nombre de foyers qui touchent le RSA par ville, ce genre de chose, le nombre d’arbres remarquables dans les Hauts-de-Seine par exemple, etc. Toutes ces données, comme elles sont générées grâce aux services publics, ont vocation à être ouvertes, gratuites, partagées avec tout le monde. Il y en a des masses et des masses, c’est donc toute une histoire de réussir à les rendre disponibles et lisibles pour le grand public, pour les citoyens et les citoyennes. On peut dire, en gros, que c’est financé avec les impôts des gens et avec ce que l’État donne aux collectivités territoriales pour ce faire, c’est donc normal que ce soit restitué au public.

Étienne Gonnu : C’est un droit ancien qui date de 1978. On parle souvent de la Cada, du droit d’accès aux documents administratifs, en fait ça découle de ça, avec une vocation à être encore plus proactif.

Grégory Gutierez : Un quatrième point dans ma feuille de route, c’est aussi l’éducation à Internet, c’est-à-dire la lutte contre la désinformation, contre les fake news, etc., et pas qu’auprès des enfants et des adolescents, aussi auprès des adultes.

Étienne Gonnu : Parfait. Avec l’arrivée, en la personne de Grégory, d’un élu au numérique qui a une connaissance et une affinité pour ces enjeux, qui les défend, quelle différence, pour vous, à la DSI, par rapport à une situation antérieure où j’ai compris que vous aviez une relation de confiance. Là, vous avez l’arrivée d’un délégué au numérique qui saisit ces enjeux, qui propose une préférence pour le logiciel libre. Qu’est-ce que ça change, pour vous, en termes de travail ?

Corinne Migeon : Eh bien, comme on dit, j’ai un vrai un sponsor en conduite de changement. J’ai donc un vrai sponsor sur ces sujets que je porte dans ma direction. Du coup, j’ai la traduction, dans une feuille de route véritablement politique, de ce que, stratégiquement, je sens comme étant nécessaire, comme direction pour l’informatique des collectivités territoriales, en tout cas pour la mienne. Pour moi, c’est un appui. La relation de confiance s’est faite facilement et, effectivement, on a une communauté de vues à ce moment-là, sur ces sujets-là, donc ça ne peut être qu’un plus dans la menée des projets stratégiques et de la feuille de route que j’ai pour ma direction.

Étienne Gonnu : C’est vrai que souvent, quand on s’intéresse à ces sujets, on sait l’importance, pour que les collectivités puissent vraiment avancer, d’avoir cette coordination tant de la part des élus que de la direction centrale, aussi, et de la DSI.

Corinne Migeon : Complètement. Comme ces sujets-là sont difficiles, sont éminemment politiques, on a besoin de positionnement au niveau le plus haut du décisionnaire : il faut qu’on sorte de la logique technologique parce que l’argument technologique n’est pas suffisant. On le verra après, on en discutera : quand on a fait notre Big Bang, il y a eu besoin, à un moment donné, d’articuler feuille de route politique, feuille de route stratégique de la direction de l’administration et feuille de route de la DSI. Quand c’est convergent et conjoint, comme il y a des frottements sur les projets de changement avec les logiciels libres, parce que c’est vraiment, souvent, du changement et on sait que dans la conduite de changement d’un projet numérique il y a des endroits où ça frotte beaucoup.
Aujourd’hui nous, DSI, on sait que dans un projet de changement vers de l’open source ou du Libre, on va embarquer encore plus de freins au changement et quand il y a plus de freins au changement, on a besoin de plus de sponsors.

Étienne Gonnu : Ça me paraît clair. Vous avez évoqué ce Big Bang qu’on a mis dans le titre ; je trouve l’expression intéressante, elle témoigne aussi de votre démarche.
Je vois l’heure qui tourne. Pour revenir en 2020, il y a eu ce Covid et vous m’avez dit que vous aviez dû vous poser cette question. Je vous propose, bien sûr, d’en parler mais peut-être vous concentrer, à ce que vous avez appelé, dans un second temps, un Big Bang en 2022, un Big Bang sur les outils de messagerie. On sait que la messagerie est souvent une question difficile, mais ô combien importante en termes de besoins et d’usages actuellement.

Corinne Migeon : Complètement. C’est important de repositionner à partir de 2020, parce que c’est la période qu’on connaît. Pour tout le monde et pour les collectivités, c’est la période du confinement et, dans les collectivités, on n’a aucune espèce d’expérience sur le télétravail, pour le coup, ce n’est pas notre logiciel. Donc, là, en trois semaines, il faut qu’on trouve des outils, il faut qu’on trouve des choses pour donner la possibilité aux gens de travailler, parce que nous avions aussi la question de la continuité du service public.
En germe, j’avais déjà cette question de la problématique d’outils collaboratifs, je suis en veille encore plus sur ces outils qui vont nous permettre, post-Covid, de nous dire « désormais on est dans du travail hybride, ça va durer longtemps et il faut qu’on trouve des outils de collaboration qui soient accessibles, accessibles à tous, accessibles financièrement pour la collectivité et qui puissent, dans le temps, nous permettre de travailler différemment, d’aller vers un autre modèle et un autre modèle qui, si possible, ne soit pas propriétaire. J’ai vu les choses se faire en 2020/2021, les modèles économiques des entreprises majors sur le marché du numérique ont complètement explosés ! C’est le début des offres développées en mode SaaS, les suites en ligne, etc.

Étienne Gonnu : SaaS, Software as a Service, qui s’exécute à distance sur l’ordinateur de quelqu’un d’autre.

Corinne Migeon : Au travers de cette période qui est vraiment un moment important, une charnière, il y a un avant et un après sur le numérique et aussi dans les collectivités. Là, je me dis qu’on ne peut pas se faire piéger par des systèmes all inclusive pour lesquels je fais un gros chèque à la fin et je ne sais plus ce qui se passe ; je ne maîtrise plus rien, je ne maîtrise plus mon système d’information, je ne maîtrise plus mes données. Mais, en même temps, ce besoin-là est majeur, il existe et il faut qu’on y réponde.

Étienne Gonnu : C’est important. On voit à la fois la problématique ne serait-ce que d’un point de vue strict de maîtrise technique et puis ça fait écho, bien sûr, à ce que, Grégory, vous avez développé dans votre feuille de route, les enjeux politiques d’une dépendance. Ce sont des questions importantes. Souhaitez-vous compléter, Grégory ?

Grégory Gutierez : Non, on peut continuer.

Corinne Migeon : Du coup, on continue. Je suis désolée, je suis revenue sur 2020, parce que c’est vraiment un moment charnière. Je pense que pour tous les DSI de collectivités territoriales c’est un moment charnière parce que nous avons été obligés, très vite, d’intégrer d’autres manières de travailler que les entreprises privées avaient géré de manière différente au fil du temps. Pour nous, il y a un avant et un après.
Donc, obligation de fournir des outils de collaboration pérennes. On en arrive à 2022, on est obligé de se poser la question de changement technologique, pour le coup technique et technologique, d’un système de messagerie qui est trop ancien, qui est exposé potentiellement au niveau de l’environnement cyber.
Là, je me repose complètement la question, je regarde ce qui existe aussi dans un autre écosystème, parce que, là, la note est trop lourde financièrement.
J’ai déjà regardé, j’ai fait des expérimentations en open source sur de la GED collaborative, avec des outils collaboratifs open source. J’ai mis à disposition, très vite, pendant la crise Covid, pendant le confinement, Jitsi, BigBlueButton, ces plateformes-là en ligne, évidemment, des outils de visioconférence.
Donc je fais le choix, à un moment donné, d’avoir un projet de GED open source, Gestion Électronique de Documents, embarquant des outils collaboratifs, avec l’idée qu’il faut qu’on aille vers le SaaS ; c’est la cible. Le serveur de fichiers, c’est caduc ; la cible, c’est la gestion électronique de documents avec les process, avec de l’archivage, etc., pour aller après, derrière, vers un système d’archivage électronique.
Je fais donc une expérimentation sur une GED collaborative, open source, mais comme ce n’est pas très mûr, je choisis, en interne, des directions pilotes et, avec Grégory, des groupes d’élus pilotes. Bon an, mal an, il y a des endroits où ça marche, des endroits où ça ne marche pas. On a vraiment beaucoup de mal à avancer sur les outils nouveaux, parce que je décide, à ce moment-là, de ne pas y aller pour tout le monde en même temps de la même façon ; je décide de faire des groupes de pilotage avec des gens en me disant que les groupes pilotes avec lesquels je vais travailler vont essaimer leur expérience, vont communiquer avec les autres. Pour plein de raisons qu’on a identifiées, ça ne fonctionne pas comme ça aurait dû fonctionner, c’est-à-dire que je perds des gens en route, j’ai des freins ; il y a des endroits où ça aurait dû marcher et ça ne marche pas.
Donc 2022, quand se pose la question du changement de messagerie, je me dis qu’on ne peut pas recommencer la même chose, on ne peut pas faire quelque chose qui est « p’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non », toi tu y vas et toi tu n’y vas pas. C’est pour cela que je l’ai appelé le Big Bang : je décide ; quand je dis « je », évidemment, après avis de la direction du numérique, de la direction générale ; je présente en CoDir une alternative : changement messagerie pour des choix éthiques, politiques, économiques et technologiques d’ouverture, d’interopérabilité. On choisit une solution de messagerie open source avec, autour, tout l’écosystème de collaboration.

Étienne Gonnu : Comment est-ce reçu par le CoDir, ce comité de direction ? Ce ne sont pas les élus qui participent ?

Corinne Migeon : Non, que les directeurs de services et la direction générale. Quand on passe en CoDir, c’est qu’on a l’aval de la direction générale, donc la direction générale porte ce projet, accepte ce projet ; les élus acceptent ce projet-là.

Étienne Gonnu : Facilement d’ailleurs ? Ou vous avez dû convaincre ?

Grégory Gutierez : En fait, c’est une fois que les élus se sont retrouvés avec le nouveau portail web pour se connecter à leurs e-mails que j’ai eu des retours, pas avant, ce n’était pas la question, et c’est là que ça devient intéressant !

Étienne Gonnu : D’accord. On va y revenir juste après.

Corinne Migeon : C’est présenté comme une décision à partager : je partage les motifs, les objectifs, mais la décision est prise. C’est pour cela que j’ai appelé ça un Big Bang. En gros, c’est à tel moment pour tout le monde en même temps.

Étienne Gonnu : Vous en avez parlé, notamment lorsqu’on a préparé l’émission, que ça ne veut pas dire que vous n’avez pas accompagné, évidemment vous avez accompagné.

Corinne Migeon : Tout le monde en même temps ne veut pas dire qu’on n’a pas accompagné, effectivement. Big Bang, c’est le Big Bang du choix, c’est-à-dire qu’on arrête un fonctionnement et on passe à un nouveau fonctionnement, c’est pour cela que j’ai appelé ça un Big Bang, par rapport à la GED où on avait dit « on y va pour certains, on fait des groupes pilotes, puis on accompagne, etc ». Là on prend la décision d’investissement qui va vers la messagerie open source et les outils embarqués, BigBlueButton, Nextcloud, etc., et on met en place un plan d’accompagnement avec tout ce qu’on peut mettre dans la balance, c’est-à-dire formation, tutos, accompagnement des services dans des réunions de service, évidemment des réunions diverses et variées de présentation aux élus, etc.

Étienne Gonnu : Dans cette logique-là, je crois que vous aviez parlé des « J tech », ce serait intéressant de préciser ce que c’est.

Corinne Migeon : On fait de la formation interne, donc on missionne aussi le formateur interne bureautique. Je fais des grands groupes, je fais des présentations en grands groupes trois semaines avant le basculement, je fais des présentations sur inscription où tout le monde peut venir pendant deux heures pour échanger. Je présente ce que va être la nouvelle messagerie, j’explique ce qui va changer, j’explique pourquoi on a choisi ça, trois semaines avant en disant « ça va arriver, ce sera comme ça, on va le faire ensemble, on y arrivera ensemble », donc présentation, accompagnement, les directions, les grands groupes. Ensuite les formations pour ceux qui en avaient besoin. Après la mise en œuvre, à nouveau formations, tutos, livrets, séances de formation en grands groupes avec les livrets et questions/réponses.
Et puis on est en place et on se dit qu’il nous manque encore des gens, il y en a qu’on a pas réussi à toucher, parce qu’ils sont éloignés, les agents qui travaillent dans les écoles, les agents qui travaillent aux espaces verts, à la voirie, une mairie c’est énormément de services, énormément de typologies de salariés qui ont des besoins complètement différents. On se dit qu’il faut qu’on crée un moment, un lieu, un espace de temps et de lieu dans lequel les gens viennent sans avoir besoin de monter à la DSI, parce que c’est un peu impressionnant de monter à la DSI. Donc, tous les mardis, on fait deux heures de ce qu’on appelle le « J tech », la journée de la techno, et de jeunes techniciens sont là, à disposition pour répondre à toutes les questions qui viennent ; ça peut être « je voudrais mettre la messagerie sur mon téléphone », ça peut être « je ne comprends pas ce truc-là, je voudrais faire une liste de distribution, je n’y arrive pas », etc. Soit ça déborde, après, sur le formateur, du coup c’est de l’accompagnement personnalisé où on se dit « tient, on n’avait pas pensé à ce besoin-là », on met en place cette formation en lien avec la RH, soit ça peut effectivement être réglé comme du support et il va intervenir.

Étienne Gonnu : Je trouve que c’est une bonne idée, peut-être qu’elle pourra inspirer les personnes qui nous écoutent, que ce soit au sein de collectivités, d’entreprises qui font cette conduite au changement, de ramener aussi l’humain, de l’informel.

Corinne Migeon : C’est ça. L’idée c’est de faire redescendre l’informatique à la cafétéria, l’endroit où on vient boire un café, on vient discuter à bâtons rompus de choses, « ce truc me casse les pieds, je n’arrive pas à le faire ! ». Là il y a un endroit où je peux venir, il est accessible, quelqu’un est là, dans la cafétéria, et je peux lui poser toutes mes questions, sans avoir besoin d’aller toquer à la porte de la DSI, ils vont tous être sur leur ordinateur, ils ne seront pas disponibles. Ça désacralise, on revient vers l’utilisateur.

Étienne Gonnu : Grégory, vous disiez que vous avez reçu des appels d’autres élus suite à ces changements, ça peut être une illustration intéressante.

Grégory Gutierez : Certains de mes collègues sont très contents avec la nouvelle version des e-mails de la mairie à travers un portail web, d’autres qui ne le sont pas du tout. J’ai eu le cas d’un élu assez proche de moi qui utilise des ordinateurs Mac et le logiciel mail des Macintosh, depuis belle lurette. Il a six ou sept comptes e-mails différents dans son logiciel mail, sur son ordinateur qu’il utilise depuis quatre ou cinq ans, au moins, et il fait des exports d’archives régulièrement au cas où l’ordinateur disparaîtrait un jour. Avec le nouveau portail web des e-mails, il ne retrouvait plus ses petits, il n’arrivait pas à connecter le nouveau serveur de mails à son logiciel sur Mac, un logiciel relativement ancien par rapport à cette solution-là. Il a donc pas mal galéré, pendant un moment, avant de se résoudre, il me semble, à passer par le portail web pour récupérer ses e-mails de la mairie, sachant qu’il les a aussi sur son smartphone.

Étienne Gonnu : Je vois le temps qui défile, juste mentionner que vous utilisez la solution BlueMind, il me semble, suite en logiciels libres donc interopérable. En fait, j’imagine que le problème venait plutôt du fait que Apple se connecte difficilement, le problème était surtout de ce côté-là.

Grégory Gutierez : Surtout qu’il avait une configuration monstrueuse avec six ou sept boîtes différentes.

Étienne Gonnu : C’est parfois la complexité informatique.
Je vois que le temps avance et je veux qu’on se laisse du temps, notamment pour parler d’inclusion numérique. Peut-être dresser un bilan : en 2022, vous avez commencé, ça fait deux ans, j’imagine que c’est toujours en route, mais ça me semble bien installé selon ce que vous m’avez dit. Quel bilan en tirez-vous l’une comme l’autre ?

Corinne Migeon : Techniquement, on est passé dans un environnement complètement différent de la solution classique qu’on utilisait, des fournisseurs qu’on connaît.
On a des choses positives et des choses qui sont encore à travailler avec l’éditeur, avec les utilisateurs. Je dirais qu’on est sur le chemin. Au bout d’un an et demi, c’est devenu incontournable, les gens ne se posent plus la question d’autre chose. Il reste des choses à régler, on a des problématiques par exemple avec les gens qui ont des besoins un peu spécifiques, sur lesquels on a effectivement à retravailler un petit peu différemment. On prend les besoins au fur à mesure, on n’est pas complètement, comment dire, bloqués sur « tu utilises absolument la version web » ; s’il y a besoin de fonctionnalités avec un client de messagerie, on installe un client de messagerie, c’est aussi interopérable. On s’est adapté, on s’adapte aux besoins en fonction des typologies d’usage. Les choses avancent tranquillement, il n’y a plus de remise en cause flagrante disant « oui, mais avant c’était mieux ! », on est passé à autre chose, ça y est, ça roule.

Étienne Gonnu : Une question était venue sur le salon : vous avez fait tout cela avec une équipe assez restreinte, il me semble. Combien êtes-vous à la DSI de Malakoff ?

Corinne Migeon : Équipe très restreinte. Au niveau technique, j’ai deux responsables techniques, deux techniciens et un chargé de projet, pour 700 postes.

Étienne Gonnu : Donc, bravo ! Il ne me vient pas d’autres mots !

Corinne Migeon : Et pas d’accompagnement. Évidemment, on travaille de manière très proche avec un éditeur pour la mise en œuvre, mais pas de prestation d’accompagnement, de formation, etc., on a tout fait en interne avec nos compétences, nos tutos. On a tout réécrit pour ce soit le plus proche de l’utilisateur et de ce qu’on connaît de nos utilisateurs.

Étienne Gonnu : Très bien. Grégory quel regard portez-vous ? Un bilan ?

Grégory Gutierez : C’est intéressant de voir qu’il y a des enthousiasmes et aussi, parfois, des résistances et à quoi sont dues ces résistances. Vraiment, si j’avais un message à faire passer à un ou une future responsable politique dans une mairie ou autre, c’est que l’accompagnement humain est absolument essentiel.

Étienne Gonnu : C’est effectivement toujours l’écho qu’on a.

Grégory Gutierez : Je trouve que c’est intéressant, ce que Corinne appelle le Big Bang. On avait évidemment annoncé à l’avance, on avait dit : « À partir de telle date, vous utilisez telle adresse pour voir vos e-mails de la mairie et point barre, pas autre chose ». C’est important que ce soit la même règle pour tout le monde, plutôt que le faire petit bout par petit bout parce que, là, les gens sont vraiment hésitants. Mais, une fois que c’est fait, il faut vraiment de l’accompagnement, prendre le temps d’expliquer, d’expliquer des choses qui peuvent être très simples, par exemple : « Où est le bouton si je veux transférer un e-mail à quelqu’un d’autre ? Je ne le retrouve pas, habituellement il est dans tel coin ! – Oui, mais là, l’environnement est légèrement différent, il est à tel endroit plutôt que tel autre. – Ah, d’accord, il est là, ça fait deux semaines que je cherche ! », des détails vraiment simples. Par exemple, j’ai été confronté à une assistante en mairie qui ne retrouvait pas ses petits dans le système de gestion électronique de documents, elle me disait « quand je suis sur le portail, toutes ces icônes sont tellement petites que je n’arrive pas à comprendre où sont les choses », elle ne savait pas qu’elle pouvait appuyer simplement sur « CTRL + », dans son navigateur, pour avoir des boutons et des textes beaucoup plus grands. Rien que ça, ça lui a changé la vie du jour au lendemain, « OK, d’accord, c’est bon, je comprends, je vois où sont les choses tout fonctionne bien. » Quand on est un petit peu versé en informatique, ce sont des choses qu’on connaît, qu’on a l’habitude de faire, mais qui ne sont pas des évidences pour tout le monde et c’est tout à fait normal. Ce que les geeks appellent les « normies », les gens normaux, ce sont vraiment des gens normaux ; ce sont les gens qui sont geeks, comme vous et moi, qui ne sont pas tout à fait normaux !

Étienne Gonnu : D’où l’importance de l’accompagnement et du partage !

Corinne Migeon : Et, côté interface, le poids de l’interface utilisateur, c’est-à-dire que vraiment, dans ce monde numérique extrêmement complexe dans lequel on est, pour un utilisateur lambda qui n’a pas de compétences particulières, qui utilise son environnement numérique de manière basique, le changement d’interface utilisateur est majeur, c’est-à-dire qu’on est vraiment aussi dans la mémoire du corps, au niveau des schémas cognitifs : je vais là, je ne réfléchis plus parce que je vais là et, effectivement, ça fait 10 ans, 15 ans, que je suis dans un écosystème identique, j’ai donc des réflexes qu’il faut déconstruire et c’est compliqué. Et comme c’est compliqué humainement parlant, il faut encore plus accompagner.

Étienne Gonnu : Ça me paraît une belle conclusion sur ce sujet important.
Il est déjà 45 et je m’étais engagé, parce que le sujet est effectivement important, à vous permettre d’évoquer la question de l’inclusivité numérique. Si on peut faire ça en deux minutes, ce serait parfait, c’est un défi !

Corinne Migeon : C’est un défi. Inclusion numérique, sujet majeur aujourd’hui, présent dans la feuille de route, du coup axe de mon projet de direction.
On ne peut pas, aujourd’hui, développer des outils, être DSI et ne pas parler d’inclusion numérique, c’est impossible. Dans une collectivité territoriale, l’inclusion numérique c’est pour nos propres agents parce qu’on n’a pas tous besoin des mêmes outils, on a, dans les agents territoriaux, des gens qui sont éloignés du numérique parce qu’ils n’en ont pas besoin tous les jours, mais, en fait, dans la vraie vie, ils en ont besoin tous les jours ; on a donc ce rôle d’inclusion auprès de nos agents pour qu’il n’y ait pas ceux qui ont l’information et ceux qui ne l’ont jamais ou alors un mois après.
Il y a l’inclusion numérique envers les usagers des services publics et l’inclusion numérique vis-à-vis de tous les citoyens, c’est-à-dire aussi la possibilité d’avoir des outils qui nous permettent d’exercer la démocratie.
Pour tout cela, on a décidé de créer une offre de service avec un espace public numérique dans les maisons de quartier, dans un quartier, avec un formateur attitré qui fait des sessions de formation de dix heures sur des thématiques qui correspondent aux besoins vraiment formalisés par les usagers ; il fait des ateliers personnalisés, etc. C’est vraiment très important, pour nous, de continuer à avoir un espace où les gens peuvent venir, être accompagnés dans les démarches, se former ou, simplement, venir pour utiliser un matériel mis à disposition, gratuitement. C’est quelque chose qu’on a mis en place avec la direction de la vie des quartiers, qui est évidemment porté par l’élu au numérique et aussi par l’élu en charge de la vie de quartiers. C’est donc un projet conjoint et commun de la DSI avec la Direction des quartiers, pour vraiment mettre à disposition des usagers un espace qui soit, pour eux, d’accompagnement aux démarches numériques pour ne pas laisser les gens sur le côté.

Étienne Gonnu : Super. On parle de la fracture numérique, il y a plein de manières de l’aborder, c’est un enjeu essentiel et bravo de vous engager là-dessus.
Notre échange, malheureusement, arrive à sa fin, j’aurais aimé continuer à discuter avec vous. On n’a pas parlé de la durabilité parce que vous faites également des efforts là-dessus. Grégory parlait de Mastodon, vous avez fait des tutoriels là-dessus, on n’aura pas le temps d’en parler, mais je mets les liens, je renvoie, bien sûr, les personnes là-dessus pour qu’elles creusent le sujet, j’enverrai également vers l’émission qu’on avait faite sur Mastodon.
Donc Grégory Gutierez élu à Malakoff au « Numérique et citoyenneté », Corinne Migeon, DSI de la ville de Malakof, merci à tous les deux d’avoir pris ce temps d’échange avec nous et bravo pour ce que vous faites pour le logiciel libre.
Nous allons à présent faire une pause musicale.

Nous allons écouter Resistance par When The Birds Left.

Pause musicale : Resistance par When The Birds Left.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter un extrait de Resistance par When The Birds Left, disponible sous licence Libre Creative Commons attribution, CC By.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu, pour l’April, vous écoutez Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques. Nous allons passer à notre dernier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « Lectures buissonnières » de Vincent Calame, intitulée : « La cause du peuple »

Étienne Gonnu : « Lectures buissonnières » de Vincent Calame, informaticien libriste et bénévole à l’April, qui vient de nous rejoindre en studio, « Lectures buissonnières » ou comment parler du Libre par des chemins détournés en partageant la lecture d’ouvrages divers et variés.
Bonjour Vincent.

Vincent Calame : Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Nous t’écoutons.

Vincent Calame : Cette fois-ci, je vais parler sous ton contrôle, Étienne, parce que je vais parler un peu de droit constitutionnel et je sais que tu es beaucoup plus calé que moi.

Étienne Gonnu : Hou ! Ça remonte à quelques années maintenant !

Vincent Calame : Aujourd’hui, je vais clore le cycle sur l’ouvrage Une histoire des libertés associatives de Jean-Baptiste Jobard, que j’avais commencé en janvier.
Évidemment, il serait difficile, voire indécent d’ignorer l’actualité politique des dernières semaines et le résultat de dimanche dernier. Je rappelle à celles et ceux qui écouteraient une rediffusion, que cette chronique est tenue en direct le mardi 2 juillet, autrement dit entre les deux tours des législatives et que nous ne savons pas encore à quelle sauce nous allons être mangés.
L’inquiétude quant à l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite est largement partagée par le monde associatif. Le Mouvement associatif, anciennement CPCA, dont les membres nationaux font partie des plus importantes têtes de réseau en France et qui, de ce fait, représente plus de 700 000 associations, a publié une tribune au titre explicite, je cite : « L’extrême-droite, une menace pour l’action associative et citoyenne ». Cette tribune est disponible sur le site lemouvementassociatif.org. Vous y trouverez également l’impressionnante liste des signataires ainsi que d’autres prises de position de différents réseaux.
Cependant, je ne vais pas m’étendre ici sur ces menaces très actuelles.

Pour nous remonter le moral et nous rappeler que l’État de droit est une construction lente qui ne se détricote pas en jour, je vais vous raconter une histoire qui finit bien – j’aime bien les histoires qui finissent bien –, qui finit même très bien, car ses conséquences vont aller bien au-delà des libertés associatives.
Pour cela, nous allons remonter 50 ans en arrière, au début des années 70.
À cette époque, quelques années après Mai 68, fourmillaient des groupuscules d’extrême gauche. Attention, là je vous parle de vraie « extrême gauche » ; on se jetait des anathèmes entre maoïstes, marxistes-léninistes, trotskistes, voire adeptes de l’Albanais Enver Hoxha, à côté desquels notre gauche radicale actuelle passerait pour des sociaux-démocrates mous du genou. Un de ces groupuscules, la Gauche prolétarienne, avait été dissout en 1970, mais son journal, La Cause du peuple, continuait d’être publié. Pour vous plonger dans l’ambiance, je vous ai mis en lien la vidéo, sur le site de l’INA, de l’interpellation de Simone de Beauvoir et de Jean-Paul Sartre distribuant La Cause du peuple en 1970.

En 1971, emmenés par Simone de Beauvoir, des intellectuels créent l’association Les amis de La Cause du peuple, mais le préfet de police, à la demande du ministre de l’Intérieur de l’époque, Raymond Marcellin, en refuse l’enregistrement. Cette décision est contestée devant le tribunal administratif qui fait droit à cette demande. Raymond Marcellin décide alors de faire voter une loi pour instituer un contrôle administratif de la déclaration des associations.
Le Sénat saisit alors le Conseil constitutionnel.
Jusqu’à présent, celui-ci avait un rôle effacé, contrôlant plus les initiatives des parlementaires que l’action du Gouvernement. Ce dernier, le Conseil constitutionnel, va prendre une décision historique : il va rejeter le projet de loi de Raymond Marcellin, en considérant que la Constitution de 1958 ne se limite pas à ses seuls articles, mais s’étend à son préambule qui, lui-même, inclut le préambule de la Constitution de 1946 ce dernier – j’espère que vous me suivez – faisant référence aux « Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».
S’invente alors le principe de « bloc de constitutionnalité » qui comprend la Constitution de 1958, mais aussi les grandes lois de la IIIe République.
Je n’ai donc aucune compétence en droit constitutionnel, je ne vais pas trop m’étendre là-dessus, il faut simplement retenir de cette décision qu’elle va sacraliser, en quelque sorte, la loi de 1901 et permettre à la liberté d’association de se hisser au rang de « principe à valeur constitutionnelle ».

L’autre aspect historique de cette décision, c’est que le Conseil constitutionnel va sortir de sa léthargie et gagner en importance, mouvement amplifié par la réforme de 1974 permettant sa saisine par une soixantaine de députés ou de sénateurs. On sait le rôle qu’il a aujourd’hui. Ses détracteurs hurlent au « gouvernement des juges », mais on est bien content qu’il se présente lui-même comme un « gardien efficace des droits et libertés fondamentales ».

Bien sûr, je pourrais noircir le tableau en rappelant tous les moyens dont peut user un gouvernement – d’extrême-droite ou non – pour restreindre la liberté associative tout en restant dans les clous de la Constitution : coupures des subventions, retraits d’agrément, contrats d’engagement républicain dévoyés, immatriculation comme agents d’étrangers, j’en passe et des meilleurs, il n’y a qu’à regarder les pratiques des tenants de la démocratie « illibérale » à l’étranger.
Ne nous décourageons pas, le pire n’est jamais certain. Reprenons des forces cet été, de nombreuses mobilisations nous attendent à la rentrée !

Étienne Gonnu : Merci beaucoup pour cette chronique, Vincent, fort à propos, elle fait du bien et je ne peux que te rejoindre : ce n’est qu’unis et solidaires que nous avancerons sur les routes de l’émancipation. D’ailleurs, à mon sens, c’est exactement le sens du mouvement du logiciel libre.
Merci encore pour cette chronique. C’est la dernière de cette saison, mais il me semble bien qu’on se retrouve la saison prochaine, à la rentrée de septembre, pour de nouvelles chroniques, de nouvelles lectures buissonnières.

Vincent Calame : Oui, tout à fait.

Étienne Gonnu : Super. Parfait.
Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Une première annonce qui intéressera surtout les personnes qui nous écoutent en direct : que faites-vous ce soir ? Si vous êtes intéressés par le langage de programmation Ruby, une rencontre est organisée ce soir mardi 2 juillet, à Paris à 19 heures 15, comme tous les premiers mardis du mois. Echarp, bénévole à l’April et développeur de l’Agenda du Libre, y fera une présentation.

Cause Commune vous propose un rendez-vous convivial, chaque premier vendredi du mois, à partir de 19 heures, dans ses locaux à Paris, au 22 rue Bernard Dimey, là où nous diffusons en ce moment. Une réunion d’équipe ouverte au public avec apéro participatif à la clé, occasion de découvrir le studio et de rencontrer les personnes qui animent les émissions. La prochaine soirée-rencontre aura lieu vendredi 5 juillet.

Le quatrième camp CHATONS, le Collectif des Hébergeurs Alternatifs Transparents Ouverts Neutres et Solidaires, se déroulera du jeudi 11 au lundi 15 juillet 2024, à L’Antenne, dans la ville Sévérac, en Loire-Atlantique. Inscription obligatoire. Tous les liens utiles sur la page de l’émission et sur l’agendadulibre.org.

Enfin collectivités, en plus c’est en lien avec l’émission du jour, donc, collectivités, n’hésitez pas à participer à l’édition 2024 du label Territoire Numérique Libre. Ce label est une initiative de l’ADULLACT destinée à mettre en valeur l’utilisation des logiciels libres et systèmes d’exploitation libres au sein des collectivités territoriales françaises. L’April a l’honneur d’être membre du jury de ce label. Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 8 novembre 2024.

Je vous invite à consulter, de manière générale, l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des événements en lien avec les logiciels libres et la culture libre près de chez vous, ainsi que les associations qui les font vivre.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : l’incroyable Luk, Corinne Migeon, Grégory Gutierez, Vincent Calame.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Julie Chaumard.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi aux personnes qui découpent le podcast complet des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibaux, bénévole à l’April, ainsi que mon collègue Frédéric Couchet.

Vous trouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles, ainsi que sur le site de la radio causecommune.fm.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission.
Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse de contact bonjour chez libreavous.org.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est le 09 72 51 55 46.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et également à faire connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 9 juillet à 15 heures 30 toujours, la dernière de cette saison. Notre sujet principal portera sur Le deuxième texte, la parité dans les communs littéraires.

Nous vous souhaitons de passer une belle journée. On se retrouve donc en direct mardi 9 juillet et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.

Média d’origine

Titre :

Émission Libre à vous ! diffusée mardi 2 juillet 2024 sur radio Cause Commune

Personne⋅s :
- Grégory Gutierez - Corinne Migeon - Étienne Gonnu - Luk - Vincent Calame
Source :

Podcast

Lieu :

Radio Cause Commune

Date :
Durée :

1 h 30 min

Autres liens :

Page de présentation de l’émission

Licence :
Verbatim
Crédits des visuels :

Bannière de l’émission Libre à vous ! de Antoine Bardelli, disponible selon les termes de, au moins, une des licences suivantes : licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure.
Logo de la radio Cause Commune utilisé avec l’aimable autorisation d’Olivier Grieco, directeur d’antenne de la radio.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.